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seules contre lesquelles se heurte l’esprit humain, dès qu’il a la prétention d’atteindre à l’essence des choses ou à la réalité absolue, dans la double conception de l’espace et du temps. Le plein des cartésiens est insoutenable dans l’état de la physique, et les actions à distance, à travers le vide, tel que les newtoniens le conçoivent, sont absolument incompréhensibles. C’est une hypothèse que la force des habitudes scientifiques nous a rendue familière, mais qui n’en devrait pas moins choquer notre raison autant qu’elle choquait celle des Leibnitz, des Bernoulli et des Huygens, s’il fallait considérer le vide ou l’espace comme quelque chose de primitif et d’absolu qui subsiste indépendamment des phénomènes du monde matériel, et non pas plutôt comme une relation entre des phénomènes dont le fondement et le principe essentiel échappe absolument à nos moyens de perception et de connaissance. Mais qu’est-ce qu’une pareille contradiction dans la conception que l’homme peut avoir du monde physique, auprès des contradictions dans la conception que l’homme a de lui-même, de l’action des organes sur l’esprit et de l’esprit sur les organes, et en général de tous les phénomènes de la vie organique, animale, intellectuelle, dont les uns lui sont propres, tandis qu’il est pour les autres en communauté de nature avec une si prodigieuse variété d’êtres inférieurs ? Il répugne de concevoir l’intelligence et la pensée, la force vitale et plastique diffuses dans une substance étendue, grande ou petite, dans un système de particules à distance comme dans un tout continu ; il répugne de les concevoir inhérentes à une particule ou à une agrégation de particules déterminées, ou d’imaginer qu’elles se transportent d’une particule à l’autre, d’un groupe matériel à un autre groupe, au fur et à mesure du renouvellement des matériaux de l’organisme. Il répugne même d’assigner au principe de la vie et de la pensée un lieu dans l’espace ; de fixer (comme dirait un géomètre) les coordonnées d’un point de l’espace où l’esprit aurait son siège, et d’où il agirait sur les organes, après avoir ressenti et perçu les modifications de l’organisme. De toutes parts il y a contradiction pour la raison, si l’étendue est conçue comme quelque chose d’absolu, si l’espace est quelque chose de nécessaire, de primitif et d’immuable. Mais, au lieu de contradictions dans le système de nos connaissances, il n’y a plus que des faits