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mouvements, des changements de distance et de configurations ; elles seraient dépouillées de ce cortège d’impressions sensibles que réveillent en nous, quelque faiblement que ce soit, les seuls mots de chaleur et de son.

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Il y a une analyse qui sépare les objets, et une analyse qui les distingue sans les isoler. Ainsi, dans l’expérience du prisme réfringent, des rayons de couleurs différentes, qui jusque-là s’étaient constamment accompagnés, se trouvent brisés inégalement, et par suite séparés dans le surplus de leur trajet : voilà un exemple de l’analyse qui sépare ou qui isole. Mais supposons, comme l’a pensé ingénieusement Brewster, en construisant l’hypothèse déjà citée (102), que des rayons diversement colorés aient le même indice de réfraction ; il n’y aura aucun moyen de les isoler, de manière à leur faire décrire des trajectoires différentes. Si pourtant de certains milieux ont la propriété d’éteindre les rayons de certaines couleurs, sinon totalement, du moins dans une proportion croissant avec l’épaisseur du milieu traversé, on pourra encore distinguer l’un de l’autre deux rayons qui auraient la même marche, épurer successivement le mélange par rapport à l’un et par rapport à l’autre, en conclure, par une induction légitime, et dont le principe a été exposé ailleurs (46 et suiv.), ce que donnerait l’observation, s’il était possible d’éteindre totalement le rayon qui ne comporte qu’une extinction partielle et graduelle. C’est une analyse de cette seconde espèce qui peut s’appliquer à la distinction de l’idée pure et du cortège d’impressions sensibles qui l’accompagne nécessairement, par une loi inhérente à la constitution de l’esprit humain, parce que l’esprit humain n’est pas une intelligence pure, mais une intelligence fonctionnant à l’aide d’appareils organiques ; parce que la vie intellectuelle est dans l’homme étroitement unie à une nature animale d’où elle tire ce qui doit la nourrir et la fortifier. Nous pouvons, sinon dégager complètement l’idée, du moins l’épurer successivement, affaiblir graduellement l’impression sensible ou l’image qui y reste unie dans les opérations de la pensée, et reconnaître clairement que ni les caractères essentiels de l’idée, ni les résultats des opérations de la pensée ne dépendent, soit de l’espèce, soit de l’intensité de l’image ou de l’impression sensible. La nature elle-même,