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des physiciens modernes, déjà, bien avant ces travaux, l’optique constituait une vaste et importante application de la géométrie, tout entière fondée sur la propriété de la lumière de se transmettre en ligne droite, de se réfléchir ou de se briser au passage d’un milieu dans un autre, suivant des lois susceptibles d’un énoncé géométrique, rigoureux et simple. Cette partie de l’optique n’a point changé quand la théorie de l’émanation des particules lumineuses a fait place à celle des vibrations de l’éther : seulement on a dû recourir à d’autres explications pour rattacher ces lois géométriques, d’où dépend la forme du phénomène, aux notions postérieurement acquises sur la constitution physique de la lumière, ou sur la nature même du phénomène.

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Ce que nous disons à propos des phénomènes de la nature physique, s’applique, à bien plus forte raison, aux phénomènes de la vie sensible et intellectuelle. Si le physicien est loin d’avoir une connaissance exacte de l’organisation moléculaire d’une goutte d’eau ou d’un cristal, comment espérer de pénétrer dans les détails intimes de l’organisation à l’aide de laquelle la nature élabore les mystérieux phénomènes que nous appelons sensibilité, conscience, perception ? Comment saisir, dans son essence et dans ses causes internes, cet acte par lequel un être doué d’intelligence perçoit ou connaît des objets situés hors de lui ? L’anatomie la plus fine, l’analyse la plus subtile, y ont échoué jusqu’à présent et y échoueront toujours. Il faudrait donc renoncer à rien savoir sur le mécanisme de nos facultés, si elles ne nous présentaient, dans leur forme, quelques-uns de ces caractères que nous pouvons nettement saisir, et dont il nous est permis de suivre les conséquences par le raisonnement, malgré notre ignorance sur la nature intime et sur la génération des facultés dont nous voulons étudier le jeu et les rapports. Déjà les logiciens, et Kant en particulier, ont insisté sur la distinction entre la matière et la forme de nos connaissances, et ils ont très-bien fait voir que la forme pouvait être l’objet de jugements certains, quand la matière ou le fond restait à l’état problématique ; mais l’application que nous voulons faire de cette distinction, et qui doit servir de point de départ à toutes nos recherches en logique, portera sur un caractère plus général, plus essentiel que ceux dont les logiciens se sont occupés