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si nous passons de la considération de l’harmonie qui règne entre les parties d’un être organisé, à l’étude des harmonies que nous offrent les rapports d’un être organisé avec les êtres qui l’entourent, ou bien à celle des harmonies que manifeste, sur une échelle encore plus grande, l’économie du monde physique. Ainsi, il ne sera pas permis de dire indifféremment que les végétaux ont été créés pour servir de pâture aux animaux herbivores, ou que les animaux herbivores ont été organisés pour se nourrir d’aliments végétaux. Le développement de la vie végétale à la surface du globe est le fait antérieur, dominant, auquel la nature a subordonné la construction de certains types d’animaux, organisés pour puiser leurs aliments dans le règne végétal. Ce n’est pas là une proposition qui se démontre avec une rigueur logique ; mais c’est une relation que nous saisissons par le sentiment que nous avons de la raison des choses, et par une vue de l’ensemble des phénomènes. L’abeille seule pourrait se figurer que les fleurs ont été créées pour son usage : quant à nous, spectateurs désintéressés, nous voyons clairement que la fleur fait partie d’un système d’organes essentiellement destinés à la reproduction du végétal, construits dans ce but, et que c’est au contraire l’abeille dont l’organisme a reçu les modifications convenables pour qu’elle pût tirer de la fleur les sucs nourriciers et les assimiler à sa propre substance. Il serait ridicule de dire qu’un animal a été organisé pour servir de pâture à l’insecte parasite, tandis qu’on ne peut douter que l’organisation de l’insecte parasite n’ait été accommodée à la nature des tissus et des humeurs de l’animal aux dépens duquel il vit. Si l’on y prend garde, et qu’on examine la plupart des exemples qu’on a coutume de citer pour frapper de ridicule le recours aux causes finales, on verra que le ridicule vient de ce qu’on a interverti les rapports, et méconnu la subordination naturelle des phénomènes les uns aux autres. Mais, de ce que des matériaux, comme la pierre et le bois, n’ont pas été créés pour servir à la construction d’un édifice, il ne s’ensuit pas qu’on doive expliquer par des réactions aveugles ou par une coïncidence fortuite la convenance qui s’observe entre les propriétés des matériaux et la destination de l’édifice. Or, dans le plan général de la nature (autant qu’il nous est donné d’en juger), les mêmes objets doivent être successivement envisagés, d’abord comme des