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FABLES ORIGINALES

FABLE XXIII.

La Critique[1].


Chez la gent littéraire on était en grand deuil ;
On suivait lentement un lugubre cercueil.
La robe de sapin vêtissait la Critique,
Morte la veille au soir. Sa santé rachitique,
Depuis quelque vingt ans, laissait hélas ! prévoir
Qu’elle allait bientôt dire un dernier au revoir
À ses vieux obligés, ses jeunes connaissances,
Les pionniers des arts, des lettres, des sciences,
Qui tous avaient senti de la dame, en son temps,
L’ongle, le bec, la griffe et les petites dents.
Les anciens la pleuraient. La défunte Critique,
Jadis d’un naturel assez autocratique,
Malmenait durement les maîtres prosateurs,
Ce dont ne se plaignaient les sérieux auteurs,
Car ses traits acérés, remplissant leur office,
N’étaient empoisonnés par l’amère injustice.
Plus tard, elle faiblit. Encens et compliment
Sur ses propres attraits faussaient son jugement.
On la vit tout à coup estimer l’œuvre, en vogue,
Faire cas du succès et se montrer très rogue

  1. Bien entendu que la critique bibliographique faite en vue de la vente des livres est seule visée dans cette fable.