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LA PHILOSOPHIE DU DÉBROUILLARD



Discours prononcé dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 30 juin 1907 à la fête organisée par la Société des Sports Populaires pour la distribution du Diplôme des Débrouillards aux lauréats de 1907.


Messieurs les Débrouillards,

Vous vous attendez peut-être à ce que je m’émerveille et vous convie à vous émerveiller avec moi qu’un diplôme musculaire vous soit remis dans cette enceinte intellectuelle. Mais nous ne saurions nous étonner en vérité devant un fait si naturel et si normal. Si nous en marquions quelque surprise, ne serions-nous pas semblables à une foule qui, constatant le parfait équilibre corporel et mental d’un homme, souhaiterait de montrer cet homme à la foire comme un animal inattendu ? L’équilibre, hélas ! n’est pas un état auquel il soit toujours aisé de parvenir : force nous est du moins de reconnaître et de proclamer que c’est l’état vers lequel tout nous commande d’aspirer et de tendre.

Aussi bien le contraste superficiel que l’on pourrait établir entre la majesté de ce lieu et les exploits qui vous y amènent, n’a-t-il même pas les apparences de la réalité ; votre diplôme, Messieurs, pour athlétique qu’il soit dans son essence, n’en est pas moins tout imprégné de philosophie. Et voilà ce dont je veux vous dire deux mots. Car d’avoir été reçu débrouillard ne doit pas seulement vous aider matériellement dans la vie ; il importe que vous y puisiez encore une aide morale et sociale.

La facilité à se débrouiller est de nos jours la qualité la plus nécessaire à l’homme pour cette simple raison que, jamais peut-être, son existence n’a été plus embrouillée. Entendez-moi bien : je ne dis pas rude ou difficultueuse. D’autres époques ont vu des obstacles bien autrement redoutables se dresser devant l’humanité ; mais ces obstacles s’apercevaient de loin car la route qui y menait était droite. On avait le loisir avant de les aborder de mesurer l’effort à faire et de s’y résoudre. L’imprévu qui est devenu la règle générale était alors l’exception. Comment et pourquoi un changement si radical s’est opéré ? c’est à vos professeurs d’histoire à vous le dire et aussi à vos profes-