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bourgeois de traiter un homme de sa qualité. Comme l’évêque lui répondit qu’il avait renvoyé son carrosse, le président fit mettre les chevaux au sien, et le renvova.


II

M. le marquis d’Argens, qui est à Paris, vient de publier des Lettres morales et critiques sur les différents états et les diverses occupations de la vie[1] ; c’est une peinture assez noire de quelques ridicules de notre nation. Le pinceau de cet écrivain manque toujours de délicatesse, mais il y a un peu plus de décence qu’à l’ordinaire ; on lit plusieurs morceaux de ce nouvel ouvrage avec assez de plaisir : tels sont les petits-maîtres, les femmes, les nouvellistes, les filles de l’Opéra. Cependant nos ridicules ne sont pas approfondis, ils ne sont qu’effleurés. Je crois que vous connaissez, madame, la manière du marquis d’Argens ; il a beaucoup d’imagination et une grande facilité à écrire, mais peu d’ordre, peu de logique, peu de précision. Il est partial, il dit des choses usées, et ne se donne pas la peine de les rafraîchir. Il aime mieux faire beaucoup de livres que d’en faire de bons. Ses Lettres Juives sont celui de ses ouvrages qui a eu et qui a mérité le plus grand succès.

— C’est un usage heureusement introduit en France que nos grands sculpteurs et nos meilleurs peintres exposent, en certain temps de l’année, à l’admiration ou à la critique publique ce qui est sorti de plus parfait de leurs ateliers. Un homme qui sait écrire et qui connaît les arts vient de juger de leurs derniers travaux avec assez de précision, de finesse et de politesse ; on voudrait un peu moins de partialité. Si vous êtes curieuse de connaître l’état où se trouvent la sculpture et la peinture en France, donnez-vous la peine de lire ce livre, madame, et vous serez satisfaite jusqu’à un certain point. L’ou-

  1. Lettres morales et critiques sur direrses occupations des hommes. Amst., 1747, in-12.