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XLIX

Il y a quelques années que nous avons perdu en France un physicien de réputation, nommé Privât des Molières. Cet homme célèbre a vieilli dans l’Académie des sciences sans arriver à la pension qu’obtiennent les autres académiciens presque à tour de rôle. Il prétendit que ce malheur lui venait de ce qu’il croyait en Dieu ; M. de Fontenelle en accusait son excessive laideur : « S’il y a quelque endroit, disait-il, où l’on ne doive pas faire attention à la physionomie, c’est sans doute dans l’Académie des sciences ; cependant, ajoutait-il en montrant le bonhomme Privât, on y regarde. »

Le neveu de ce physicien, appelé Privât de Fontanilles, vient de publier un poëme épique de près de cinq mille vers. Cet ouvrage est intitulé Malte ou l’Isle-Adam[1]. Le sujet en est simple : Philippe de Villiers de l’Isle-Adam, Français de nation, dernier grand-maître de Rhodes, quitte cette île pour s’aller établir dans une autre contrée. Après de longues traverses, il aborde en Italie et fixe les débris et la résidence de son ordre dans l’île de Malte, dont il devient le premier grand-maître.

Tout ce qui fait le fond des poëmes anciens et modernes se trouve dans celui-ci. Vous y verrez l’intervention des dieux, le ciel et l’enfer en mouvement, l’amour et les actions héroïques des deux, tout le merveilleux, enfin, qui convient à ce genre de poésie. L’auteur a réussi aussi bien qu’on le puisse sans esprit et sans génie. Son sujet est bien envisagé et bien distribué ; ses pensées naturelles mais communes, sa versification exacte mais sans coloris, ses images ressemblantes mais sans grâce. Cet auteur est sage et ennuyeux. Combien de gens réunissent ces deux qualités dans la société aussi bien que dans les ouvrages !

— Le nouvel opéra, intitulé Nais, continue à essuyer des contradictions. Les médisants veulent qu’il soit redevable du

  1. Paris, 1749, in-8.