Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XLVII

M. le marquis de La Rivière, homme d’autant d’esprit et de méchanceté que le fameux Bussy-Rabutin, son beau-père, se fit dévot sur la fin de ses jours. Dans le loisir de la solitude à laquelle il se condamna, il adressa à son neveu un petit cours de morale qu’on vient d’imprimer sous le titre Avis pour la conduite d’un jeune homme[1]. Un curieux m’a fait voir une édition de cet écrit faite il y a quelques années, mais elle a été si peu répandue qu’on peut regarder cet ouvrage comme nouveau. Si vous le lisez, je crois que vous y trouverez une grande connaissance du cœur et des mœurs, des idées justes et sublimes, des tours neufs et des expressions de génie ; un style assez souvent précieux et des négligences trop fréquentes défigurent un peu cet écrit. Je vais transcrire ici quelques-unes des maximes que renferme le livre que j’ai l’honneur de vous annoncer :

« Nous vivons avec nos défauts comme avec des odeurs que nous portons ; nous nous y accoutumons, nous ne les sentons plus, mais les autres les sentent pour nous.

« Il sied bien à un jeune homme de sentir le vieillard par quelque endroit, comme au vieillard de tenir quelque chose du jeune homme. L’un met par là de la sagesse dans sa conduite, et l’autre de l’agrément dans la société.

« Tous les sots sont opiniâtres : le trop d’attachement à son propre sens n’est qu’un composé d’ignorance et d’orgueil ; l’une fait qu’on se charge de fausses opinions, et l’autre empêche qu’on ne s’en dédise.

« Si jamais la fortune vous faisait bon visage, ne comptez pas sur la fidélité de ses caresses, elle est inégale et légère ; c’est une femme, il ne faut pas s’y fier.

  1. Avis d’un oncle à son neveu, ou Maximes pour les jeunes gens qui entrent dans le monde et au service. Paris, 1731, in-12., et 1771, in-8.