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Ce ministre, ayant lu l’ouvrage, fit avertir l’auteur de lui venir parler. Au lieu de lui témoigner du ressentiment, il se plaignit seulement avec douceur de ce qu’il l’avait si peu ménagé. « Vous savez, ajouta-t-il, qu’il y a longtemps que je vous estime. Si je ne vous ai pas fait du bien, prenez-vous-en aux importuns qui m’obsèdent et qui m’arrachent les grâces. Je vous promets que la première abbaye qui vaquera sera pour vous. » Quillet, touché de tant de bonté, se jeta aux genoux du cardinal, lui demanda pardon, promit de corriger son poëme, et obtint la permission de le lui dédier. Il le fit réimprimer bientôt, et l’adressa à l’Éminence qui, peu de temps auparavant, lui avait donné un bénéfice considérable.

Le cardinal Mazarin n’aimait point les lettres, et de tous ceux qui les cultivèrent de son temps, il n’y eut que Quillet et Benserade qui obtinrent de lui quelques grâces. L’aventure du dernier a quelque chose d’assez plaisant. Mazarin se trouvant un soir chez le roi, parla de la manière dont il avait vécu à la cour du pape, où il avait passé sa jeunesse. Il dit qu’il aimait les sciences, mais que son occupation principale était la poésie, où il réussissait assez bien et qu’il était à la cour de Rome comme Benserade était à celle de France. Quelque temps après, il sortit et alla à son appartement. Benserade arriva une heure après ; ses amis lui reportèrent ce qu’avait dit le cardinal. À peine eurent-ils fini que Benserade, tout pénétré de joie, les quitta brusquement sans rien dire. Il courut chez le cardinal et heurta de toute sa force pour se faire entendre. Le cardinal venait de se coucher ; Benserade pressa si fort et fit tant de bruit qu’on fut forcé de le laisser entrer. Il courut se jeter à genoux au chevet du lit de Son Éminence et après lui avoir demandé mille fois pardon de son effronterie, il lui dit ce qu’il venait d’apprendre et le remercia, avec une ardeur inexprimable, de l’honneur qu’il lui avait fait de se comparer à lui pour la réputation qu’il avait dans la poésie. Il ajouta qu’il en était si glorieux qu’il n’avait pu retenir sa joie et qu’il serait mort à sa porte si on l’eût empêché de venir lui en témoigner sa reconnaissance. Cet empressement plut beaucoup au cardinal ; il l’assura de sa protection, lui envoya, six jours après, une pension de 2,000 francs, et lui accorda dans la suite d’autres grâces plus considérables.

— Un anonyme vient de publier un volume de lettres de