Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours riante et toujours amie des grâces, répand sur tous les esprits une vive et éclatante lumière. Ce qui rend sa poésie surtout recommandable, ce n’est pas seulement l’harmonie du vers, mais bien plus cette harmonie du style, ce fil imperceptible qui, liant avec adresse les différentes parties d’un ouvrage, en rend la lecture plus délicieuse. Je n’y trouve qu’un défaut, c’est que le sens devient quelquefois obscur pour être trop embarrassé dans le labyrinthe de longues phrases où il se perd et où la réflexion seule le retrouve.

Psaphion ou la Courtisane de Smyrne[1] est un de ces ouvrages frivoles qui sont propres à amuser le loisir d’une folle et vaine jeunesse, ou à désennuyer quelque Midas désœuvré. Le fond n’est rien, c’est un canevas des plus pauvres et des plus minces, embelli par la plus riche et la plus magnifique broderie. Ce roman n’est point un tissu d’aventures plus extravagantes les unes que les autres, et qui décèlent une imagination stérilement féconde ; ce n’est point aussi une suite de faits qui, variés et assortis par un mélange heureux, puissent prêter au roman de quoi ourdir avec art la trame d’une action intéressante. Vous n’y verrez point de ces situations adroitement ménagées, qui occasionnent des dénoûments d’autant plus agréables que, de même que la bergère de Virgile, ils se cachent autant qu’il le faut pour qu’on ait le plaisir de les deviner. Ne vous attendez point aussi à ces scènes cruelles qui déchirent le cœur quand le sort jaloux sépare deux amants que l’amour unit de ses plus fortes chaînes. Il n’y règne pas même cette métaphysique ingénieuse du temps qui, curieuse scrutatrice des cœurs, aime à en percer les plus sombres replis, à observer les secrets ressorts qui les font mouvoir, à épier et à surprendre leurs faiblesses pour amener à ce sujet des traits d’une morale austère, toujours déplacés à côté du plaisir. L’héroïne du roman est une jeune personne dans le printemps de son âge, et à qui chaque jour apporte de nouvelles grâces : c’est une beauté simple, sans fard, aussi naturelle, aussi voluptueuse que le pinceau qui la peint est naturel et voluptueux lui-même.

  1. Psaphion, ou la Courtisane de Smyrne, fragment érotique traduit du grec de Mnasias, sur un manuscrit de la bibliothèque de lord B… (composé par Meusnier de Querlon), où l’on a joint les Hommes de Prométhée. Londres, 1748, in-12. Réimprime dans les Impostures innocentes de l’auteur.