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la cour et la ville changèrent de sentiment. Cet opéra était Armide.

— Il paraît depuis trois jours une maussade brochure intitulée les Mœurs de Paris par M. La Peyre. On doit savoir gré à cet auteur d’avoir mis son nom à la tête de l’ouvrage, puisque par là il nous met en garde contre toutes les productions qui paraîtront désormais sous un tel auspice. Ce barbouilleur de papier peint les mœurs sans les connaître, peint les personnes sans les avoir vues, juge des choses sans en avoir la première idée. Tout ce qu’il débite est un contre-sens perpétuel. Où il a mieux réussi sans le savoir, c’est qu’il a fait son portrait au public en lui donnant un pareil ouvrage ; il porte à la fois l’empreinte de l’ignorance et du galimatias.

— L’Académie des inscriptions et belles-lettres fit sa rentrée le 14 de ce mois. M. Fréret, qui en est le secrétaire, y lut l’éloge de deux académiciens fort obscurs, MM. Burette et de Valois. Le premier était un savant et le second un antiquaire ; ni l’un ni l’autre n’eurent guère d’esprit. Leur panégyriste est peut-être l’homme de l’Europe qui est le plus profondément instruit, mais il a beaucoup de rudesse dans les manières, une aigreur infinie dans le cœur et point de grâce dans l’esprit. On continua la séance par une dissertation du duc de Nivernois, sur l’indépendance des premiers rois de France, qu’il prétend ne tenir leur puissance que de Dieu et de leur épée. Quelques auteurs, même Français, ont avancé que les rois des Francs tenaient leur puissance des Romains, parce que Théodebert ne régna qu’en vertu de la cession qui lui fut faite par Justinien. M. de Nivernois prouve au contraire qu’avant Théodebert il y avait des rois qui avaient signé avec la même autorité que lui, sans l’attache des Romains. Ce seigneur a fortifié son sentiment par la conduite que Clovis a tenue avec les Romains. Il était si peu dépendant d’eux que, sans s’occuper des projets de l’Empire, sans avoir jamais eu besoin de son agrément ou de son approbation, et sans craindre de se le rendre contraire, il a déclaré la guerre aux alliés mêmes du peuple romain. Il combattit Siagrius, lieutenant de l’empire, et le défit. Siagrius se sauva chez Alaric, roi des Goths. Clovis veut qu’Alaric lui livre Siagrius. Alaric n’ose lui refuser, et Clovis le fait mourir quand il s’en voit le maître, sans aucune réclamation de la part du