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une pastorale en vers français, qu’il fit mettre en musique par Cambert. Elle fut représentée devant le roi à Vincennes ; ce fut alors pour la première fois, depuis les Grecs et les Romains, qu’on entendit un concert de flûtes. Le ministre, jaloux de plus en plus de procurer à son maître un spectacle plus grand et plus digne de sa cour, saisit l’occasion du mariage du roi, en 1660, et fit représenter, avec une dépense et une magnificence incroyables, la tragédie d’Ercule amante. Le roi et la reine y dansèrent avec plusieurs seigneurs et dames de la cour. C’est à cet opéra qu’on doit rapporter l’usage des prologues. Ce serait bien ici le lieu de décider lequel, de Richelieu ou de Mazarin, a fondé la meilleure Académie ; mais, sans qu’il soit besoin de discussion, on peut assurer que l’Académie française ennuie presque toujours et que l’Académie royale de musique amuse et plaît toujours, soit par la beauté de la musique, soit par le brillant du spectacle en lui-même. Il y a pourtant une chose commune aux deux académies, c’est qu’on ne lit plus les discours de l’une et les opéras de l’autre quand ils sont une fois recueillis. Mais revenons à notre sujet ; il est assez étrange que ce soit à un cardinal et à un abbé que l’opéra doive sa naissance, et plus singulier encore qu’on l’ait peuplé des plus célèbres musiciens de nos églises, ce qu’il est impossible de concilier avec le préjugé que nous avons en France de regarder les acteurs, soit de l’opéra, soit de la comédie, comme indignes de la communion. On serait porté à croire que l’abbé Perrin s’est enrichi à ce métier ; mais par une fatalité jusqu’à présent trop ordinaire aux directeurs de l’Opéra, ce pauvre abbé mourut en prison, accablé de dettes et de misère. L’air qu’on respire à l’Opéra est un air destructeur, et il faut être toujours en garde contre une multitude de divinités qui ne cherchent qu’à vous accabler de bonheur, de plaisir et de volupté. Peut-être l’abbé méprisa-t-il le danger, peut-être aussi voulut-il pousser trop loin la magnificence pour plaire au public, et que, par ce moyen, la dépense excéda beaucoup la recette. J’adopte volontiers cette pensée comme étant plus conforme à la vérité. Perrin finit sa carrière par l’opéra d’Ariane, dont les paroles ne valaient rien mais qui réussit pourtant beaucoup. On y voyait, dit Saint-Évremond, les machines avec surprise, les danses avec plaisir ; on entendait le chant avec agrément, mais les paroles avec dégoût.