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pelle un de M. de La Rochefoucauld qui vous plaira peut-être, quoique déplacé. On voulut donner le cordon bleu au maréchal de Catinat, qui le refusa parce qu’il ne pouvait pas faire les preuves de noblesse qui étaient nécessaires. La Rochefoucauld le pressant un jour de l’accepter, Catinat lui dit : « Je ne suis point homme de condition ; de qui voulez-vous que je me fasse descendre, de Catilina ? — Non, répondit La Rochefoucauld, mais de Caton, et personne ne s’avisera d’en douter. » Ce mot peint bien M. de Catinat comme un des meilleurs citoyens et des plus vertueux militaires qu’ait eus la France.

3° Les Essais de morale par Nicole sont encore un bon livre ; ils sont profonds, mais diffus, secs, quelquefois obscurs et toujours tristes ; il y règne une monotonie qui les rend ennuyeux. L’auteur était un homme simple qui voulait que M. Arnaud, son ami, qui jouissait d’une très-grande réputation, passât pour auteur de la Perpétuité de la foi, quoiqu’il ne le fût pas. Il dit finement à ce propos : « Ce n’est pas la vérité qui persuade les hommes, ce sont ceux qui la disent. »

4° La Bruyère, auteur des Mœurs de ce siècle, avait l’imagination vive, mais quelquefois peu réglée ; l’expression noble, mais quelquefois un peu guindée ; le pinceau hardi, mais quelquefois un peu outré. Les éclairs trop continuels de ce brillant écrivain fatiguent souvent. On l’accuse d’avoir, le premier, introduit ce style métaphorique, obscur, entortillé, qui dégrade depuis longtemps notre langue et notre littérature. On croirait en lisant ce livre, que l’auteur cherchait à imposer ; cependant c’était un homme modeste, qu’on a très-bien caractérisé en disant qu’il craignait toute ambition, même celle de montrer de l’esprit.

5° Les Sermons de Bourdaloue, que j’envisage ici purement comme un livre de mœurs, sont, à mon gré, le meilleur cours de morale qui ait été fait chez aucun peuple. C’est une suite de principes, de raisonnements, de conséquences, qu’on ne trouve pas ailleurs ; l’orateur, le philosophe, le théologien y marchent de pair. On est étonné, convaincu, entraîné, par cette lecture. Ce jésuite manque de ce que les mystiques appellent onction, et Mme de Maintenon, qui faisait profession de dévotion, disait de lui : « Il prêche assez bien pour me dégoûter de tous les autres