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— XLVII —

« Et, quant à ce qui me touche en particulier, vous voiez, messieurs, que c’est ceste teste que ils cerchent, laquelle avecq tel pris et si grande somme d’argent ils ont vouée et déterminée à la mort, et disent, pendant que je serai entre vous, que la guerre ne prendra fin. Pleust à Dieu, messieurs, ou que mon exil perpétuel, ou mesmes ma mort, vous peut apporter une vraie délivrance de tant de maux et de calamitez que les Espaignols, lesquels j’ai tant de fois veu délibérer au conseil, deviser en particulier, et que je cognois dedans et dehors, vous machinent et vous apprestent ! O que ce bannissement me seroit doux, que ceste mort me seroit agréable ! Car pourquoi est-ce que j’ai exposé tous mes biens ? Est-ce pour m’enrichir ? Pourquoi ai-je perdu mes propres frères, que j’aimois plus que ma vie ? Est-ce pour en trouver d’aultres ? Pourquoi ai-je laissé mon fils si longtemps prisonnier, mon fils, dis-je, que je dois tant désirer, si je suis père ? M’en pouvez-vous donner un aultre ? ou me le pouvez-vous restituer ? Pourquoi ai-je mis ma vie si souvent en danger ? Quel prix, quel loier puis-je attendre aultre de mes longs travaux, qui sont parvenus pour vostre service jusques à la vieillesse, et la ruine de tous mes biens, sinon de vous acquérir et acheter, s’il en est besoing, au pris de mon sang, une liberté ? Si doncq vous jugez, messieurs, ou que mon absence, ou que ma mort mesmes, vous peult servir, me voilà prest à obéir : commandez, envoiez-moi jusques aux fins de la terre ; j’obéirai. Voilà ma teste, sur laquelle nul prince ni monarque n’a puissance que vous ; disposez-en pour vostre bien, salut et conservation de vostre républicque. Mais, si vous jugez que ceste