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♦5 POLYEUCTE

Et voilà les vers dont s'empare M. Gaizot pour écrire que Corneille n'a jamais su peindre un sentiment mixte et composé de deux sentiments contraires sans se jeter tout à fait tantôt d'un côté, tantôt de l'autre! « Quoique Pohjeucte, ajoule-t-il, soit, avec le Cid, la pièce où Corneille a le plus habilement mêlé les diverses affections du cœur, on voit que dans le par- tage qu'il fait entre l'amour et le devoir, quand il s"adonne à peindre Tun de ces sentiments, il ne peut s'empêcher de trop oublier l'autre ^ » Mais il n'y a plus oppoïilion et partage : il y a conciliation, union, fusion intime des deux sentiments opposés. L'amour et le devoir ne se combattent plus ; ils se prêtent un mutuel appui. Pauline ne se figure plus un bonheur où ne serait pas Polyeucte, où tous deux ne seraient pas heureux ou misérables ensemble :

Un cœur à l'autre uni jamais ne se retire Et pour l'en séparer il faut qu'on le déchire*!

Ne serait-ce encore là qu'un rôle supérieurement joué, qu'une admirable attitude soutenue avec dignitéjusqu'au bout? 11 faut bien se rendre pourtant et reconnaître l'absolue sincérité de Pauline, quand elle reparaît illuminée par la grâce, prête au martyre. On l'a quelquefois comparéeà cetteprincessedeGlèves dont M™^ de la Fayette nous a tracé le portrait d'une main si légère; mais cette Pauline mûrie, au lendemain delà mort de M.deClèves, aime Nemours plus que jamais; si elle se refuse à profiter de sa liberté, si elle écarte le bonheur qui se présente à elle, c'est par un dernier scrupule d'honneur conjugal. Pauline a plus que cette délicatesse dans le renoncement : elle s'attache d'une si forte étreinte à son mari vivant ou mort, qu'on ne conçoit plus rien qui les puisse séparer. Bien au-dessus des voluptés humaines, bien au-dessus de Sévère, son âme suit celle de son époux : un seul regret la tourmente, c'est de ne pouvoir jouir aussitôt de la félicité qu'il lui avait promise. Ainsi l'admiration éveille en elle l'amour et l'amour la prépare à la foi.

Prédestinée à la lumière, déjà chrétienne par la douceur et la pureté de sa vertu, Pauline est convertie par un coup de la grâce sans que personne songe à s'en étonner, sauf ceux qui se placent à un point de vue purement humain pour juger une pièce religieuse ou ceux qui, avec Schlegel, oubliant la règle tyrannique des vingt-quatre heures, signalent l'absence de progression, la soudaiaeté avec laquelle se succèdent cet

1. Corneille et son iempt. S. 'A(H« V «c. 3.

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