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INTRODUCTION 13:

glée par la haine! Deux objections pourtant étaient plus

sérieuses.

D'abord le fanatisme de Polyeucte pouvait troubler les cons- ciences timorées, les âmes croyantes, mais paisibles, que toute violence effraye. L'Eglise, en elfet, a toujours condamné cer- tains excès de zèle, certains emportements dangereux.' «Le chrétien, disait saint Grégoire de Nazianze, ne doit pas lui même s'exposer à la persécution : c'est lâcheté que de se refuser, c'est téméiité que de s'offrir. » Néarque ne dira pas autre chose à Polyeucte dans la scène vi de l'acte II, et Néarque avait sans doute présent à l'esprit l'exemple de ces chrétiens qui, après s'être offerts spontanément aux bourreaux, avaient reculé au dernier moment devant l'horreur des supplices; mais il ne pouvait prévoir l'étrange développement que pren- drait au iv^ siècle cette folie du suicide, avec la secte des donatistes et des circoncellions. Saint Paul avait ditpourtant: « Le royaume du ciel ne s'ouvrira pas pour ceux qui profèrent des paroles de malédiction. » Il est vrai que d'auties aimaient à répéter, avec saint Mathieu, que c'est par la violence qu'on force l'entrée des cieux. Mais la doctrine communément acceptée était bien celle de saint Cyprien, martyr lui-même, et qui défendait de se livrer, celle d'Origène,qui répondait au païen Celse : « Mon adversaire prétend que les chrétiens parlent ainsi :« Voyez-moi, devant les statues de Jupiter, d'Apollon «ou de quelque autre dieu; je les outrage, je les souftlette, et «pourtant elles ne se vengent pas. » Si jamais il a entendu quelqu'un s'exprimer de la sorte, ce ne peut être qu'un chré- tien du dernier ordre, quelque indiscipliné, quelque ignorant. Ne sait-il pas que dans la loi divine il est écrit: Tu n'outra- geras pas les dieux?... Il ne faut pas que notre bouche s'accoutume à maudire; car il est écrit: Bénissez, ne mau- dissez pas 2. » Saint Augustin et Lactance sont du même avis On sentit même le besoin de donner une sanction à cei conseils vraiment évanséliques: en 305. les Pères du conciU d'lllibéris,en Bétique, écrivent dans leurs canons :« Si quelqu'un brise les idoles et est tué pour ce fait, il ne sera pas inscrit au nombre des martyrs, car nous ne voyons pas dans l'évangile que les apôtres aient rien fait de semblable. » C'est que de pareilles provocations, aussi vaines que bruyantes, étaient de nature à déchaîner sur les chrétiens des persécutions nouvelle/" v

i. Nous empruntons beaucoup ici au très remarquable mémoire de M. Le blant : Polyeucte et le zèle téméraire {Mémoires de l'Académie det Inserip' tions, t. XXVIII).

ï. Ces lignes corîeuges ét«ient écrites précisément au temps m vivait Polyeucte —

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