Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/370

Cette page n’a pas encore été corrigée

6 POLYEUCTE

grecque, et ne voulut point faire de Pauline une mère de famille.

Eu somme, que donnait l'histoire à Corneille? Presque rien. Qu'a-t-il créé? Presque tout. Dans les documents qu'analyse M. Aube, Polyeucte et Néarque, Grecs d'origine, sont officiers dans la douzième légion, legio fulminati'ix, cantonnée depuis longtemps à Mélitène. Un édit impérial vient de condamner au supplice les chrétiens de Tarmée qui refuseraient de sacri- fier aux dieux. L'un des deux officiers grecs, Polyeucte, exalté par un songe où Dieu lui est apparu et l'a consacré comme un de ses élus, soutenu par Néarque, aux yeux de qui la foi sincère suffit, même sans le baptême, pour assurer le salut, déchire l'édit impérial, renverse les idoles qu'on portait au temple, reste insensible aux supplications de sa femme, de ses enfants, de son beau-père, est battu de verges, puis décapité, mais seul et sans entrauier Néarque dans sa perte. 'Qu'im- portent ces ressemblances, plus extérieures qu'intimes? Il suffit que Sévère paraisse, que Pauline l'aime, qu'au fond de l'âme de Polyeucte lui-même, trop impassible dans les Actes des martyrs, se livre un combat terrible entre deux passions qui s'excluent l'une l'autre, pour que Métaphraste, Surius, Mosan- der, tous les hagiographes et même tous les manuscrits de la Bibliothèque nationale soient oubliés. Sur un seul point nous serions tentés de regi-etter la version primitive : elle donne à Félix plus de dignité et de sensibilité, moins d'ambitieuse bassesse ; ce n'est plus un courtisan prêt à tout sacrifier au désir de plaire, c'est un père vraiment touché, et qui nous touche. Mais Corneille avait ses raisons pour opposer celte figure vulgaire à la figure héroïque de Polyeucte transfiguré.

Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, qu'il pouvait puiser à d'au- tres sources, et s'éclairer de textes plus anciens. A défaut de cet instinct historique, qu'. -thez lui était si pénétrant, la lec- ture des historiens latins et des Pères de l'tglise eût suffi à lui révéler le vrai caractère de ce confiit, plus politique au fond que religieux, qui mit aux prises le christianisme enva- hisseur et l'Etat romain. Suétone ne va-t-il pas jusqu'à glori- fier Néron d'avoir inventé des supplices d'une férocité raffinée 'contre une race d'hommes si malfaisante : « afflicli suppliciis chi'istiani, genus hominum superslilionis nov% ac malepcse ^. » Tacite ne fait pas difficulté d'avouer que la persécution des chrétiens, sous ce même empereur, fut un prétexte pour détour- nei l'attention publique de l'incendie de Rome, mais il se garde de défendre ces innocents, coupables de bien d'autres crimes,

i. Suétone, Néron, iti.

�� �