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Ne serait pas bonheur, s'il arrivait toujours.

AUGUSTE.

Eh bien! s'il est trop grand, si j'ai tort d'y prétendre, J'abandonne mon sang à qui voudra l'épandre. Après un long orage il faut trouver un port, 1235

Et je n'en vois que deux, le repos, ou la mort.

LIVIE.

Quoi! vous voulez quitter le fruit de tant de peines?

AUGUSTE.

Quoi! vous voulez garder l'objet de tant de haines?

LIVIE.

Seigneur, vous emporter à cette extrémité,

C'est plutôt désespoir que générosité. 1240

AUGUSTE.

Régner et caresser une main si traîtresse, Au lieu de sa vertu, c'est montrer sa faiblesse.

LlVIE.

C'est régner sur vous-même, et, par un noble choix, Pratiquer la vertu la plus digne des rois.

AUGUSTE.

Vous m'aviez bien promis des conseils d'une femme ; 1245

1233. Var. Aussi, dedans la place où je m'en vais descendre (1666-66.)

1234. Epandre et répandre se disaient indifféremment. M. Littré dit pourtant : ■ Epandre indique, dans l'artion, une sorte d'ordre et d'arrangement qui n'est pas dans répandre. » Nous craignons que cette distinction ne soit illusoire, au moins pour ce qui regarde le xvn" siècle : Corneille dit souvent epandre son sang {Mélite, 1510 ; Cid, 91 ; Rodogune, 1715; Théodore, 1679). Voltaire et Pa- lissot regrettaient ce terme heureux et utile. Il semble qu'il soit aujourd'hui rentré en faveur ; la poésie contemporaine l'a plus d'une fois rajeuni.

1244. Voilà un dialogue tout cornélien, où les vers s'opposent aux vers, avec symétrie. On peut remarquer, en passant, ces dernières paroles de Livie ; elles prouvent que l'impératrice n'invoque pas seulement les motifs assez mesquins do l'intérêt personnel et politique ; ici, du moins, elle fait appel à de plus nobles sentiments. Corneille s'est peut-être souvenu que, dans Grisante (1639), son ami Rotrou avait fait dire à l'un de ses personnages :

Se vaincre est l'action la plus noble des rois, (rv, n.)

1245. Ici, Corneille se sépare de Sénèque, qui nous montre, au contraire, Auguste docile aux conseils de Livie : « Gavisus sibi quod advocatum invenerat, uiori gratias egit. » Chez Dion Cassius, Auguste pardonne aussitôt aux conjurés. Mais ce dénouement était bien brusque et fort peu dramatique. Palissot entre- prend de justifier Corneille contre les critiques de Voltaire ; il représente ce vers comme une « application assez naturelle » au v. 1197, et observe que le ton de la ealantorie moderne était inconnu aux Romains. Cette dernière remarque peut être juste, mais ne suffit pas à excuser entièrement la sécheresse un peu brutale de telles paroles. A la fin de la scène précédente, Auguste inclinait vers la ven- geance ; les conseils de Livie sont donc inopportuns et l'irritent peut-être. Peut- être, au contraire, a-t-il fait les mêmes réflexions et voit-il avec mécontentement qu'on enlève à sa clémence, en la prévenant, une partie de son mérite. Si l'on ss représente l'Auguste qu'a voulu peindre Corneille, et non celui de l'histoire, ob le verra, dans cette réponse d'Auguste, que le cri impatient d'une grande âme

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