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S8 CINNA

jEMILIE.

Ne crains point de succès qui souille ta mémoire :

Le bon et le mauvais sont égaux pour ta gloire,

Et, dans un tel dessein^? le manque de bonheur

Met en péril ta vie, et non pas ton honneui.

Regarde le malheur de Brute et de Cassie : 265

La splendeur de leurs noms en est-elle obscurcie?

Sont-ils morts tout entiers avec leurs grands desseins?

Ne les compte-t-on plus pour les derniers Romains?

Voyez la grammaire de M. Chass;ing, p. 370. — Le discours de Ciana n'a pas eu le bonheur de plaire à W. Srhiegcl : « La conjuration, éorit-i], est tenue dans l'éloignement et ne se voit qu'à travers un magnifique récit; elle n'escite point cette sombre inquiétude, relie attente de l'événement qui pourrait rendre nn pareil sujet si éminemment tragique. » On peut trouver le récit de Cinna un peu trop prolongé, bien qu'il ne soit jamais languissant; on peut critiquer même l'habitude française des récits substitués à l'action; mais il nous semble qu'ici fintérêt dramatique n'y perd rien : car le discours de Cinna accroît l'attente, en nous montrant les conjurés en face u'Auguste, et tout prêts à le frapper; U accroît notre sympathie pour eux, en même temps que notre haine pour le ty- ran, puisque les uns sont représentés comme les vengeurs de la liberté oppri- mée, l'autre comme un tigre altéré de sang. Or il importe que uous soyons entretenus dans ces sentiments ; car le coup de théâtre de la scène rv on sera plus émouvant, et le contraste de l'Auguste du second acte avec l'Auguste du pre- mier en saisira mieux notre esprit prévenu. Nous préférons pourtant les criti- ques de Schlegel aux éloges de M. Dosjardins : « Dieu me garde, dit celui-ci, de faire le procès aux qualités littéraires de cet admirable récit, si éloquent, si animé, si rouiain; c'est au contraire une louange de plus que je veux ajouter à toutes celles qu'on en a faites. C'est que ce caractère, évideminetil déclamatoire, est intentionnel, et que Corneille a dû vouloir mettre dans la bouche de Cinna l'éloquence facile de ces républicains mécontents qui ne voient que l'intérêt étroit et mesquin de leur parti, et échauffent les esprits à l'aide de cet appareil oratoire, de ces procédés de rhétorique surannée à l'usage des écoles. >• Rien ne nous paraît plus faux que ce point de vue. Auguste, lui aussi, ne déclame-t-il pas un peu au début du second acte? Nourri de Sénoque et de Lucain, le fu- tur auteur de la ^Jort de Pompée a les défauts de ses qualités. 11 ne faut pas lui prêter des intentions trop niufhiavéliques. cpie les habiles seuh pourraient soupçonner à peine; le gros des lecteurs et des spectateurs, pendant tout ce premier acte, est .avec Emilie et Cinna. Corneille a voulu qu'il en fût ainsi : une grande partie de l'intérêt s'évanouirait, si, au début, les conjurés ne nous fai- saient pas illusion.

262. Le bon et Lr mauvais; suppléez : succès; voyez le v. 253.

265. Ces noms latins francisés, dout la forme peut sembler aujourd'hui bi- larre, sont fréquents chez Corneille. Voyez les v. 1135, 1489, 1490.

267. Yar. Ont-ils perdu celui do dernirrs des Romains,

Et sont-ils mort.'î entiers avoeqne leurs desseins? (1643-66.)

Tout entiers, que Corneille écrivait tous entiers, est imité d'Horace : Non nmvis moriar, ou plutôt de Lucain :

Non omnis in arris ...Emathiis cecidit.

De même dans Vlphigenie de Racine (F, n), Achille s indigne à la pensée d traîner une vie obscure et de mourir k tout entier. »

268. Le mot est de Suétone : b Quod Brutum Cassiumque ultimo* Ronuuir nun dixistet. •

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