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ACTE I, SCÈNE I 73

Que par sa propre main mon père massacré

Du trône où je le vois fait le premier degré;

Quand vous me présentez cette sanglante image,

La cause de ma haine, et l'effet de sa rage,

Je m'abandonne toute à vos ardents transports, 15

Et crois, pour une mort, lui devoir mille morts.

A.U milieu toutefois d'une fureur si juste,

J'aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste,

El je sens refroidir ce bouillant mouvement

Quand il faut, pour le suivre, exposer mon amant. 20

Oui, Cinna, contre moi moi-même je mïrrite,

proche se nièle au souvenir, puisque la grandeur d'Auguste dure si longtemps après un tel crime. On conçoit donc que les ressentiments d'EmUie lui reprochent la mort de son père, tant qu'elle ne l'aui'a pas vengée.

12. Fait, pour constitue, est, ou plutôt fut, expression un peu faible et qui manque de netteté; Corneille veut dire : le meurtre de mon père fut le premier degré de la puissance d'Auguste. Même ainsi présentée, l'idée est contestable. Toranius, tuteur d'Octave, proscrit par lui, et livré aux centurions par son propre ûls (Cf. Suétone, XXVIl, et Valère-Maiirae, IX, n) n'était qu'un plébéien; sa fortune a pu être convoitée ; mais son inQuence n'avait rien, ce semble, de si redoutable, ni sa disparition rien de décisif. Dans la bouche d'Emilib, l'eiagération est natuielle. mais un peu puérile. Ajoutons que fes vers donnent en partie raison à Fénclon lorsqu'il reproche à Corneille d'avoir dénaturé la " modeste simpli- cité » du caractère d'Auguste. Jamais Auguste, plus habile encore que modeste, n'eut de trône, si ce n'est sur la scène du ivii* siècle. Mais on le voyait alors ivec les yeuî des futurs sujets de Louis XIV.

14. La cause et l'effet, opposition peu nette à sanglante image. Cette anti- thèse de pur remplissage est froide et de mauvais goût, surtout venant après un beau vers.

16. Mille morts et surtout, plus bas (y. 26), mille et mille tempêtes, sont de» expressions familières qui se rapprochent du style de la comédie, mais que la tragédie ne repoussait pas.

17. Au milieu de équivaut parfois, selon M. Littré, à malgré, surtout quand il est suivi, comme ici, de toutefois. Observez que, si le fond de ce monologue est vrai, la forme semble manquer de souplesse ; les transitions y sont trop ac- cusées, les déductions trop savantes.

18. i< De bons critiques, qui connaissent l'art et le cœur humain, n'aiment pas qu'on annonce ainsi de sang-froid les sentiments de son cœur. Ils veulent que les sentiments échappent à la passion. » (Voltaire.) II est possible que l'analyse des sentiments, trop raffinée et compliquée, ait quelque chose d'artificiel dans cette scène. En relisant certaines autres scènes de Cinna, l'on pourrait même se de- mander si Emilie no so trompe pas, quand elle croit son amour pour Cinna plus fort que sa haine contre Auguste; mais il est évident qu'en ce vers simple et plein, Corneille a voulu résumer d'avance tout le caractère d'Emilie et peut-être préparer le dénouement, où l'amour triomphe de la haine.

19. Refroidir, pour se refroidir; ce genre d'ellipse est familier à Corneille, même en prose : « Si j'avais fait descendre Jupiter pour réconcilier Nicomède avec son père, ou Mercure pour révéler à Auguste la conspiration de Cinna, j'au- rais fait révolter tout mon auditoire. » (Discours de la tragédie.) — Bouillant, Impétueux, dans un sens analogue au lalia, fervidus sestus. — Mouvement, tr^ ïsité pour sentiment.

20. Var. Quand il faat, pour le perdre, exposer mon amant. (1643-66.)

îes mots d'amant et de maiti-esse étaient alors plus relevés qu'aujourd'hui.

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