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42 CINNA

l'autorité publique, si le peuple, entretenu par le maître avec une générosité qui n'excl'jt pas l'économie, n'a qu'une | crainte, c'est de manquer de maître un jour? Les bustes que nous avons de lui nous le montrent, non pas sous les traits altiers d'un dominateur, dont le regard s'impose, mais avec les ]è\Tes minces, le geste patelin, les allures félines du fourbe idéal*. Calomnions-nous Auguste? Au lieu de son portrait, faisons-nous, comme M. Beulé^, sa caricature? Gardons-nous trop présent le souvenir du jugement sévère porté par Montesquieu: « Auguste établit l'ordre, c'est-à-dire une servitude durable... Sylla, homme emporté, mène vio- lemment les Romains à la liberté; Auguste, rusé tyran, les conduit doucement à la servlcude^ » ? Un historien peu suspect de sévérité exagérée envers les Césars, M. Duruy, va se trouver d'accord avec Montesquieu. « Le grand trompeur, esprit sans étendue,... géiiie étroit qui ne sut lire, ni dans le passé pour en prendre les conseils, ni dans l'avenir pour en prévoir les nécessités, » ne le séduit pas davantage. Il suffit de le citer pour faire comprendre quelle distance sépare l'Au- guste idéal de l'Auguste vrai.

« Auguste, écrit M. Duruy*, supprima la vie politique chez un peuple qui avait perdu la vie religieuse et ne pouvait avoir encore la vie scientifique. Mais que mit-il à la place de tous ces grands vides? Rien que le plaisir, panem et circenses. Avec cela on ne fait ni des hommes ni une nation... Il resta au-des- sous de son rôle. L'empire fut heureux sous lui; mais pour l'avenir qu'avait-il fondé? Le despotisme militaire et les droits de la force, sans autre garantie que l'intérêt bien entendu du prince... Si du prince nous passons à l'homme, il faut bien dire qu'on ne saurait aimer ce personnage, qui jamais n'eut un premier mouvement de l'esprit ni un emportement du cœur, qui écrivait d'avance ce qu'il voulait dire à ses amis, même à sa femme, et fit tour à tour le mal ou le bien, selon qu'il y vit son intérêt ; cruel de sang-froid, clément par calcul, assassin de Cicéron et sauveur de Cinna; tartuiïe de piété^ sans religion; hypocrite de vertu, avec des vices; le modèle enfin des pohtiques, si la politique était l'art de conduire les hommes en les dominant par la terreur ou en les trompant par les caresses. César, Alexandre, voilà des génies aima- bles; Napoléon, voilà un génie terrible. Auguste, qui ne com« 

��1. Despois, Les lettres et la liberté, i. Auguste et sa famille.

3. Grandeur et décadence des Romains,

4. Histoire des Romains, III, 44,

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