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INTRODUCTION 41

non seulement avec Sénèque, mais avec Suétone, qui dit expressément: « Clementiae civilitatisque ejus multa et magna documenta sunt ^ » Mais il y a une sorte de clémence qui ressemble fort à de la lassitude ; c'est encore Sénèque qui écrit : « Ego veram clementiam non voco lassamcrudelitatem. » Ouant à Dion, il passe sous silence l'émouvant entretien de Cinna et d'Auguste. Corneille a-t-il donc eu tort de hasarder son cinquième acte sous l'autorité d'un seul témoignage? 11 ■îtait moins téméraire peut-être qu'on ne le croit; on s'en convaincra si l'on considère par quelles vicissitudes d'opinion i passé cette renommée de fondateur d'empire, tour à tour naudit comme un tyran hypocrite, et béni comme le sauveur de Rome et le protecteur •.^s lettres: car, ainsi que l'a dit Arioste :

Non fu si santo, ni si bénigne Auguste Corne la tuba di Virgilio suona: Laver avute in poesia buon gusto La prescrizione iniqua gli pardena 2.

L'Auguste de l'histoire ne ressemble guère à l'Auguste déjà Idéalisé de la légende impériale, et celui de la légende est encore inférieur à l'Auguste moderne, chrétien, pour ainsi dire, qu'a conçu le xvn*' siècle et qu'a immortalisé Corneille.

Si quelque chose manque à la figure, d'ailleurs curieuse, de l'Auguste historique, c'est assurément la majesté. Il a voulu être simple et n'y a réussi qu'à moitié: car la simpli- cité affectée n'est qu'une des formes de l'ostentation. C'est bien à tort que Corneille nous peint « l'empereur », assis sur son « trône », « au miheu de sa gloire ». Le spectacle pompeux de la royauté française, des cérémonies solennelles et des fêtes éclatantes qui annoncent déjà Louis XIV, a causé son erreur. Sans cour, sans faste, dans une maison modeste, ofi sa femme lui tisse elle-même ses habits, Auguste vit en simple bourgeois. Mais qu'on ne se hâte pas de transformer en président de république américain ce maître du monde qui pêche à la ligne. Sous cette bonhomie, on devine bientôt la finesse cauteleuse du diplomate; sous cette bénignité dou- cereuse l'implacable volonté de l'ancien dictateur. Qu'impor- tent les apparences trompeuses, s'il possède la réalité du pouvoir, si le sénat, comblé par lui de flatteries et d'argent, se laisse arracher l'un après l'autre les derniers lambeaux de

1. Vie d'Auguste. LI.

!. « Au|,'uste ne fut ni si saint, ni si clément que nous l'a chanté la trompette de Virgile ; c'est son bon gowt en poésie qui lui fit pardonner l'iniquité def proscriptions. » (Livre XXXI, St. 26.)

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