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32 CINNA

le héros d* la tragédie et que Livie est là pour rehausser en- core l'éclat inattendu de son héroïsme. Toute la question se réduit donc à savoir si Auguste est le vrai héros choisi pai Corneille. Nous avons montré n» 'aucun des autres person- nages ne peut l'être. Une rapide analyse de la pièce nous montrera que, seul, il les domine de toute sa hauteur, et que, par une progression constante, il s'élève à mesure que les autres s'abaissent. Nous n'aurons d'ailleurs qu'à développer l'exact résumé que Corneille a donné lui-même de son œuvre lorsqu'il a écrit' : « Il faut qu'une action, pour être d'une juste grandeur, ait un commencement, un milieu et une fin. Cinna conspire contre Auguste et rend compte de sa conspiration à Emilie : voilà le commencement. Maxime en fait avertir Auguste : voilà le milieu. Auguste lui par- donne : voilà la fin. »

ACTE I. — Auguste ne paraît point pendant le premier acte. A quoi bon? l'on n'y parle que de lui. S'il se montrait tout d'abord à nous tel qu'il est vraiment, nous ne le pour- suivrions pas de cette haine implacable qui ne s'arrête même pas devant les bienfaits. Connaissant l'empereur, nous ne nous étonnerions pas de le voir pardonner. Par suite, la con- spiration même perdrait de son intérêt, et ces violentes invec- tives contre le « tyran » nous sembleraient un peu outrées. Au contraire, nous voyons Emilie qui nous entre lient de ses ressentiments ; puis Cinna, qui expose avec tant de véhémence les dispositions de ses complices. Tous sont entlammés d'ar- deur pour « cette action si belle », qui est le meurtre du tyran et la délivrance de Rome. Lui-même, Cinna nous trace le portrait d'Auguste, et quel portrait! C'est à peine s'il daigne accorder le nom d'homme à ce proscripleur insolent et cruel, à « ce tigre altéré de tout le sang romain » . Voilà Auguste, voîTà l'usurpateur sanglant, 1 ennemi des gens de bien, le perfide dont il faut faire justice « à la face des dieux ». Nous sommes entraînés; sans prendre le temps de la réflexion, déjà nous nous intéressons à l'entreprise qui doit venger à la fois Emilie et les Romains. Quant à savoir si le châtiment est proportionné au crime, nous ne nous en inquiétons même pas, tant cet Octave souillé de sang nous révolte. Nous ne nous demandons pas si, en changeant de nom, Auguste n'a pas changé de caractère ; il est toujours pour nous le farouche triumvir, et nous sommes avec les conjurés qui se disputent l'honneur de lui porter le premier coup. Aussi notre émotion est-elle vive et notre attente in-

I, Discours du poème dramattguo

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