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INTRODUCTION 2S

admise: «Aux sujets vérilablement héroïques, dit-il, la gran- deur d'âme doit être ménagée devant toutes choses. Ce qui serait doux et tendre dans la maîtresse d'un homme ordi- naire est souvent faible et honteux dans l'amante d'un héros. En effet, c'est un spectacle indigne de voir le courage d'un héros amolli par des soupirs et des larmes. Pour éviter cet inconvénient-là, Corneille n'a pas moins d'égard au caractère des femmes illustres qu'à celui de ses héros. Emilie anime Cinna à l'exécution de leur dessein et va, dans son coeur, ruiner tous les mouvements qui s'opposent à la mort d'Au- guste. »

A ce grave éloge d'un contemporain qui avait fu de près d'autres héroïnes, comparez cette ironique boutade d'un cri tique moderne ' qui n'en a point connu, mais eut la préten- tion, assez mal justifiée, de pénétrer l'esprit de l'antiquité latine : « Quels charmes peuvent-ils trouver à cette femme, incessamment furieuse, irritée, obstinée au meurtre de son bienfaiteur ? Quand ils ont dit : « C'est une Romaine ! » ils ont tout dit. Tant pis pour les Romaines, si elles étaient ainsi faites ! Celle-là est bien la plus rancuneuse des créatures, et parfaitement insolente. Chacune de ses paroles est une injure, son geste est insultant, son regard ironique. « 

Ce ton léger eût bien étonné Balzac. Mais ne saurait-on concevoir Emilie sous d'autres traits que ceux d'une furie, tour à tour adorable ou détestable, selon le point de vue où l'on se place? On doit cette justice à la Harpe qu'il a su, cette fois, juger, sans prévention, un caractère dont la gran- dem' réelle, encore qu'un peu tendue, s'imposait à lui : « Il ne faut pas exiger qu'Emilie nous touche, mais seulement qu'elle nous attache, et c'est à quoi l'auteur a réussi, en lui donnant le mérite qui lui est propre, celui d'une noblesse d'âme que rien ne peut abaisser, d'une résolution intrépide que rien ne peut ébranler. De ce côté, ce me semble. Cor- neille a bien connu son art, en ce qu'il a senti, ce qu'^^ii peut poser pour principe, que toutes les fois qu'un csiractère ne peut pas nous émouvoir par des sentiments que nous parta- gions, il ne peut nous subjuguer que par une énergie et une grandeur qui nous imposent. Un pareil personnage ne peut pas vouloir trop décidément ce qu'il veut ; car ce n'est que psir cette volonté forte qu'il peut suppléer à l'intérêt qui lui manque. » Encore cet intérêt ne lui manque-t-il point tant. Non pas que nous soyons très vivement émus par les inquié- tudes que lui inspire son amour ; car, quoi qu'elle en dise,

I. Jules Janin. Notice $ur Corneille.

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