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INTRODUCTION 11

ne me paraissait pas digne de terminer cette belle tragédie. Mais, une fois, Monvel, en jouant devant moi, m'a dévoilé tout le mystère de cette grande conception. 11 prononça le Soyons amis, Cinna, d'un ton si habile et si rusé, que je compris que cette action n'était que la feinte d'un tyran, et j'ai approuvé comme calcul ce qui me semblait puéril comme sentiment. 11 faut toujours dire ce vers de manière que, de tous ceux qui l'écoutent, il n'y ait que Cinna de trompé. »

On sent bien que la clémence, cette « pauvre petite vertu » que Napoléon se donne le plaisir de dédaigner, ne lui était point familière. Il dirait volontiers avec La Rochefoucauld : « La clémence des princes n'est souvent qu'une politique pour gagner l'affection des peuples. — Cette clémence dont on fait une vertu se pratique tantôt par vanité, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble*. » Mais il a eu raison de nous avertir qu'il excluait « tous les sentiments dramatiques »; car jamais le sens du drame tout entier n'a été aussi complètement dénaturé. Il est heureux pour la mémoire de Napoléon qu'il ait racheté en quelque façon cette erreur en faisant rétablir le rôle de Livie dans une représentation donnée le 29 mars 1806 L Saint-Cloud, et surtout en montrant Talma dans Cinna au « parterre de rois » réuni autour de lui à Erfurt^ (1808). Jamais Corneille n'eût rêvé un tel public, dont il était digne.

A la même époque, il est vrai, Guillaume Schlegel profes- sait à Vienne le cours de littérature dramatique qui devint plus tard un livre fameux. Etait-ce par une sorte de revanche de l'humiliation d'Erfurt qu'il devait écrire, méconnaissant, au- tant qu'un Allemand le peut faire, le vrai caractère de la clé- mence d'Auguste : « La grandeur d'âme d'Auguste est telle- ment équivoque qu'on peut la prendre pour la pusillanimité d'un vieux tyran?» Corneille eût été fort surpris de certaines appréciations tudesques : « On voit déjà se dessiner dans la tragédie de Cinna, à propos du repentir de Cinna et de Maxime, cette disposition au machiavélisme des motifs qui, plus tard, devint le caractère dominant des compositions de Corneille. Cet emploi de pareils moyens, toujours repoussant en soi, devient encore, chez ce poète, maladroit et inutile. 11 se flattait de surpasser les plus habiles en connaissance du monde, des hommes et de la cour. Avec l'âme la plus droite et la plus hon- nête, il avait la prétention de pouvoir donner des leçons à

1. Maximes, XV et XVI.

2. Cinna était en tète du programme d«s représentations d'Erfurt arec Rod»- çvne et le Cid

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