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DE LA TRAGÉDIE. 87

l'une de l'autre : le nécessaire y est à préférer au vrai- semblable, non que cette liaison ne doive toujours être vraisemblable, mais parce qu'elle est beaucoup meilleure quand elle est vraisemblable et nécessaire tout ensemble. La raison en est aisée à concevoir. Lorsqu'elle n'est que vraisemblable sans être nécessaire, le poëme s'en peut passer, et elle n'y est pas de grande importance ; mais quand elle est vraisemblable et nécessaire, elle devient une partie essentielle du poëme, qui ne peut subsister sans elle. Vous trouverez dans Cinna des exemples' de ces deux sortes de liaisons : j'appelle ainsi la manière dont une action est produite jjar l'autre. Sa conspiration contre Auguste est causée nécessairement par l'amour qu'il a pour Emilie, parce qu'il la veut épouser, et qu'elle ne veut se donner à lui qu'à cette condition. De ces deux actions, l'une est vraie, l'autre est vraisemblable, et leur liaison est nécessaire. La bonté d'Auguste donne des remords et de l'irrésolution à Cinna : ces remords et cette irréso- lution ne sont causés que vraisemblablement par cette bonté, et n'ont qu'une liaison vraisemblable avec elle, parce que Cinna pouvoit demeurer dans la fermeté, et arriver à son but, qui est d'épouser Emilie. Il la consulte dans cette irrésolution : cette consultation n'est que vrai- semblable, mais elle est un effet nécessaire de son amour, parce que s'il eût rompu la conjuration sans son aveu, il ne fût jamais arrivé à ce but qu'il s'étoit proposé, et par conséquent voilà une liaison nécessaire entre deux ac- tions vraisemblables, ou si vous l'aimez mieux, une pro- duction nécessaire d'une action vraisemblable par une autre pareillement vraisemblable.

Avant que d'en venir aux définitions et divisions du vraisemblable et du nécessaire, je fais encore une ré-

I. Var. (édit. de 1660): Cinna peut nous fournir des exemples.

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