Page:Corneille - Marty-Laveaux 1910 tome 1.djvu/213

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE LA TRAGÉDIE. 85

raconter quelque chose en présence de trente personnes, il en peut décrire les divers sentiments l'un après l'autre. C'est pourquoi il n'a jamais aucune liberté de se dépar- tir* de la vraisemblance, parce qu'il n'a jamais aucune raison ni excuse légitime pour s'en écarter.

Comme le théâtre ne nous laisse pas tant de facilité de réduire tout dans le vraisemblable, parce qu'il ne nous fait rien savoir que par des gens qu'il expose à la vue de l'auditeur en peu de temps, il nous en dispense aussi plus aisément. On peut soutenir que ce n'est pas tant nous en dispenser, que nous permettre une vraisem- blance plus large ; mais puisque Aristote nous autorise à y traiter les choses selon le nécessaire, j'aime mieux dire que tout ce qui s'y passe d'une autre façon qu'il ne se pas- seroit dans un roman n'a point de vraisemblance, à le bien prendre, et se doit ranger entre les actions nécessaires.

V Horace en peut fournir quelques exemples"^: l'unité de lieu y est exacte, tout s'y passe dans une salle. Mais si on en faisoit un roman avec les mêmes particularités de scène en scène que j'y ai employées, feroit-on tout passer dans cette salle ? A la fin du premier acte, Curiace et Camille sa maîtresse vont rejoindre le reste de la fa- mille, qui doit être dans un autre appartement ; entre les deux actes, ils y reçoivent la nouvelle de l'élection des trois Horaces ; à l'ouverture du second, Curiace pa- roît dans cette même salle pour l'en congratuler. Dans le roman, il auroit fait cette congratulation au même lieu où l'on en reçoit la nouvelle, en présence de toute la famille, et il n'est point vraisemblable qu'ils s'écartent eux deux pour cette conjouissance ; mais il est néces-

��I. Var. (édit. de 1660) : de s'écarter.

3. Var. (édit. de 1660) : J'anticipe l'examen d'/Zomce pour en donner des exemples.

�� �