Page:Corneille - Marty-Laveaux 1910 tome 1.djvu/190

Cette page n’a pas encore été corrigée

62 DISCOURS

L'exemple d'Œdipe qu'il allègue me confirme dans cette pensée. Si nous l'en croyons, il a toutes les conditions requises en la tragédie ; néanmoins son malheur n'excite que de la pitié, et je ne pense pas qu'à le voir représenter, aucun de ceux qui le plaignent s'avise de craindre de tuer son père ou d'épouser sa mère. Si sa représentation nous peut imprimer quelque crainte, et que cette crainte soit capable de purger en nous quelque inclination blâmable ou vicieuse, elle y purgera Ja curiosité de savoir l'avenir, et nous empêchera d'avoir recours à des prédictions, qui ne servent d'ordinaire qu'à nous faire choir dans le mal- heur qu'on nous prédit par les soins mêmes que nous pre- nons de l'éviter ; puisqu'il est certain qu'il n'eût jamais tué son père, ni épousé sa mère, si son père et sa mère, à qui l'oracle avoit prédit que cela arriveroit, ne l'eussent fait exposer de peur qu'il n'arrivât'. Ainsi non-seule- ment ce seront Laïus et Jocasle qui feront naître cette crainte, mais elle ne naîtra que de l'image d'une faute qu'ils ont faite quarante ans avant l'action qu'on repré- sente, et ne s'exprimera en nous que par un autre acteur que le premier, et par une action hors de la tragédie.

Pour recueillir ce discours, avant que de passer à une autre matière, établissons pour maxime que la perfec- tion de la tragédie consiste bien à exciter de la pitié et de la crainte par le moyen d'un premier acteur, comme peut faire Rodrigue dans le Cid, et Placide dans Théo- dore, mais que cela n'est pas d'une nécessité si absolue qu'on ne se puisse servir de divers personnages pour faire naître ces deux sentiments, comme dans Rodo- gune ; et même ne porter l'auditeur qu'à l'un des deux, comme dans Polyeucte, dont la représentation n'im-

I. Var. ((jdit. de 1660 et de i663) : Si son pire et sa mère ne l'eussent fait exposer, de peur que cela n'arrivât.

�� �