Page:Corneille - Marty-Laveaux 1910 tome 1.djvu/186

Cette page n’a pas encore été corrigée

58 DISCOURS

tant qu'ils sont passionnés l'un pour l'autre. Ils tombent dans l'infélicité par cette foiblesse humaine dont nous sommes capables comme eux ; leur malheur fait pitié, cela est constant, et il en a coûté assez de larmes aux spectateurs pour ne le point contester. Cette pitié nous doit donner une crainte de tomber dans un pareil mal- heur, et purger en nous ce trop d'amour qui cause leur infortune et nous les fait plaindre ; mais je ne sais si elle nous la donne, ni si elle le purge, et j'ai bien peur que le raisonnement d'Aristote sur ce point ne soit qu'une belle idée, qui n'ait jamais son eifet dans la vérité. Je m'en raj)porte à ceux qui en ont vu les représentations: ils peuvent en demander compte au secret de leur cœur, et repasser sur ce qui les a touchés au théâtre, pour re- connoître s'ils en sont venus par là jusqu'à cette crainte réfléchie, et si elle a rectifié en eux la passion qui a causé la disgrâce, qu'ils ont plainte. Un des interprètes d'Aris- tote veut qu'il n'aye parlé de celte purgation des passions dans la tragédie C[ue parce qu'il écrivoit après Platon, qui bannit les poêles tragiques de sa république, parce qu'ils les remuent trop fortement. Comme il écrivoit pour le contredire, et montrer qu'il n'est pas à propos de les bannir des Etats bien policés, il a voulu trouver cette utilité dans ces agitations de l'âme, pour les rendre recommnndables par la raison même sur qui l'autre se fonde pour les bannir. Le fruit qui peut naître des im- pressions que fait la force de l'exemple lui manquoit : la punition des méchantes actions, et la récompense des bonnes, n'étoient pas de l'usage de son siècle, comme nous les avons rendues de celui du nôtre ; et n'y pouvant trouver une utilité solide, hors celle des sentences et des discours didactiques, dont la tragédie se peut passer selon son avis, il en a substitué une qui peut-être n'est qu'imaginaire. Du moins, si pour la produire il faut les

�� �