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fait profession de renoncer à toute gloire littéraire, nous montre combien son cœur en a toujours été vivement touché. Dans la dédicace de l’Imitation adressée par lui au pape Alexandre VII, il dit à ce pontife qu’il avait été très-profondément affecté des pensées sur la mort répandues dans ses poésies latines, puis il ajoute : « Elles me plongèrent dans une réflexion sérieuse qu’il falloit comparoître devant Dieu, et lui rendre compte du talent dont il m’avoit favorisé. Je considérai ensuite que ce n’étoit pas assez de l’avoir si heureusement réduit à purger notre théâtre des ordures que les premiers siècles y avoient comme incorporées, et des licences que les derniers y avoient souffertes ; qu’il ne me devoit pas suffire d’y avoir fait régner en leur place les vertus morales et politiques, et quelques-unes même des chrétiennes ; qu’il falloit porter ma reconnoissance plus loin, et appliquer toute l’ardeur du génie à quelque nouvel essai de ses forces, qui n’eût point d’autre but que le service de ce grand maître et l’utilité du prochain. C’est ce qui m’a fait choisir la traduction de cette sainte morale, qui par la simplicité de son style, ferme la porte aux plus beaux ornements de la poésie, et bien loin d’augmenter ma réputation, semble sacrifier à la gloire du souverain auteur tout ce que j’en ai pu acquérir en ce genre d’écrire[1]. »

Qui pourrait ne pas ajouter foi à cette déclaration si noble et si ferme ; on le voit, loin de se repentir de quelque écart de sa muse, Corneille s’applaudit de lui avoir toujours fait parler un chaste langage ; n’est-on pas transporté ici dans un courant d’idées hautes et pures qui exclut toutes ces misérables histoires de poésies libertines et de pénitence tardive ? Son péché, Corneille le connaît : c’est de s’être trop complu au bruit enivrant des applaudissements, de s’être trop glorifié de son génie, et ces applaudissements, il y renonce, ce génie, c’est à Dieu seul qu’il le consacre. Lorsqu’un tel poëte nous parle avec une si héroïque simplicité, nul ne doit s’aviser, ce me semble, de douter de ce qu’il avance.

Toutefois on l’a fait encore tout récemment. En 1862, deux

  1. Voyez ci-après, p, 5 et 6.