Car enfin c’est un roi dont il me faut l’appui.
Adieu, Seigneur : je la lui cède,
Mais je ne la cède qu’à lui.
Scène IV
D’où sait-il, Xénoclès, d’où sait-il que je l’aime ?
Je ne l’ai dit qu’à toi : m’aurais-tu découvert ?
Si j’ose vous parler, Seigneur, à cœur ouvert,
Il ne le sait que de vous-même.
L’éclat de ces faveurs dont vous enveloppez
De votre faux secret le chatouilleux mystère,
Dit si haut, malgré vous, ce que vous pensez taire,
Que vous êtes ici le seul que vous trompez.
De si brillants dehors font un grand jour dans l’âme ;
Et quelque illusion qui puisse vous flatter,
Plus ils déguisent votre flamme,
Plus au travers du voile ils la font éclater.
Quoi ? La civilité, l’accueil, la déférence,
Ce que pour le beau sexe on a de complaisance,
Ce qu’on lui rend d’honneur, tout passe pour amour ?
Il est bien malaisé qu’aux yeux de votre cour
Il passe pour indifférence ;
Et c’est l’en avouer assez ouvertement
Que refuser Mandane aux vœux d’un autre amant.
Mais qu’importe après tout ? Si du plus grand courage
Le vrai mérite a droit d’attendre un plein hommage,
Serait-il honteux de l’aimer ?
Non, et même avec gloire on s’en laisse charmer ;
Mais un roi, que son trône à d’autres soins engage,
Doit n’aimer qu’autant qu’il lui plaît
Et que de sa grandeur y consent l’intérêt.
Vois donc si ma peine est légère :
Sparte ne permet point aux fils d’une étrangère
De porter son sceptre en leur main ;
Cependant à mes yeux Mandane a su trop plaire ;
Je veux cacher ma flamme, et je le veux en vain.
Empêcher son hymen, c’est lui faire injustice ;
L’épouser, c’est blesser nos lois ;
Et même il n’est pas sûr que j’emporte son choix.
La donner à Cotys, c’est me faire un supplice ;
M’opposer à ses vœux, c’est le joindre au parti
Que déjà contre moi Lysander a pu faire ;
Et s’il a le bonheur de ne lui pas déplaire,
J’en recevrai peut-être un honteux démenti.
Que ma confusion, que mon trouble est extrême !
Je me défends d’aimer, et j’aime ;
Et je sens tout mon cœur balancé nuit et jour
Entre l’orgueil du diadème
Et les doux espoirs de l’amour.
En qualité de roi, j’ai pour ma gloire à craindre ;
En qualité d’amant, je vois mon sort à plaindre :
Mon trône avec mes vœux ne souffre aucun accord,
Et ce que je me dois me reproche sans cesse
Que je ne suis pas assez fort
Pour triompher de ma faiblesse.
Toutefois il est temps ou de vous déclarer,
Ou de céder l’objet qui vous fait soupirer.
Le plus sûr, Xénoclès, n’est pas le plus facile.
Cherche-moi Spitridate, et l’amène en ce lieu ;
Et nous verrons après s’il n’est point de milieu
Entre le charmant et l’utile.
ACTE IV
Scène I
Agésilas me mande ; il est temps d’éclater.
Que me permettez-vous, Madame, de lui dire ?
M’en désavouerez-vous si j’ose me vanter
Que c’est pour vous que je soupire,
Que je crois mes soupirs assez bien écoutés
Pour vous fermer le cœur et l’oreille à tous autres,
Et que dans vos regards je vois quelques bontés
Qui semblent m’assurer des vôtres ?
Que servirait, Seigneur, de vous y hasarder ?
Suis-je moins que ma sœur fille de Lysander ?
Et la raison d’état qui rompt votre hyménée
Regarde-t-elle plus la jeune que l’aînée ?
S’il n’eût point à Cotys refusé votre sœur,
J’eusse osé présumer qu’il eût aimé la mienne ;
Et m’aurais dit moi-même, avec quelque douceur :
« Il se l’est réservée, et veut bien qu’on m’obtienne. »
Mais il aime Mandane ; et ce prince, jaloux
De ce que peut ici le grand nom de mon père,
N’a pour lui qu’une haine obstinée et sévère
Qui ne lui peut souffrir de gendres tels que vous.
Puisqu’il aime ma sœur, cet amour est un gage
Qui me répond de son suffrage :
Ses désirs prendront loi de mes propres désirs ;