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Et quoique ta captive, un cœur comme le mien,
De peur de s’oublier, ne te demande rien.
1025Ordonne ; et sans vouloir qu’il tremble ou s’humilie,
Souviens-toi seulement que je suis Cornélie.

CÉSAR.

Ô d’un illustre époux noble et digne moitié,
Dont le courage étonne, et le sort fait pitié !
Certes, vos sentiments font assez reconnoître
1030Qui vous donna la main, et qui vous donna l’être ;
Et l’on juge aisément, au cœur que vous portez,
Où vous êtes entrée, et de qui vous sortez.
L’âme du jeune Crasse, et celle de Pompée,
L’une et l’autre vertu par le malheur trompée,
1035Le sang des Scipions protecteur de nos Dieux,
Parlent par votre bouche et brillent dans vos yeux ;
Et Rome dans ses murs ne voit point de famille
Qui soit plus honorée ou de femme ou de fille.
Plût au grand Jupiter, plût à ces mêmes Dieux,
1040Qu’Annibal eût bravés jadis sans vos aïeux,
Que ce héros si cher dont le ciel vous sépare
N’eût pas si mal connu la cour d’un roi barbare,
Ni mieux aimé tenter une incertaine foi,
Que la vieille amitié qu’il eût trouvée en moi ;
1045Qu’il eût voulu souffrir qu’un bonheur de mes armes
Eût vaincu ses soupçons, dissipé ses alarmes ;
Et qu’enfin, m’attendant sans plus se défier,
Il m’eût donné moyen de me justifier !
Alors, foulant aux pieds la discorde et l’envie,
1050Je l’eusse conjuré de se donner la vie,
D’oublier ma victoire, et d’aimer un rival
Heureux d’avoir vaincu pour vivre son égal ;
J’eusse alors regagné son âme satisfaite[1],

  1. Var. Alors, l’esprit content et l’âme satisfaite,
    Je l’eusse fait aux Dieux pardonner sa défaite. (1644-56)