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justes défiances de Rodogune à la fin du premier acte, et la peinture que Cléopatre fait d’elle-même dans son monologue qui ouvre le second, n’auroient pu se faire entendre sans ce secours.

J’avoue qu’elle est sans artifice, et qu’on la fait de sang-froid à un personnage protatique[1], qui se pourroit toutefois justifier par les deux exemples de Térence que j’ai cités sur ce sujet au premier discours[2]. Timagène, qui l’écoute, n’est introduit que pour l’écouter, bien que je l’emploie au cinquième[3] à faire celle de la mort de Séleucus, qui se pouvoit faire par un autre. Il l’écoute sans y avoir aucun intérêt notable, et par simple curiosité d’apprendre ce qu’il pouvoit avoir su déjà en la cour d’Égypte, où il étoit en assez bonne posture, étant gouverneur des neveux du Roi, pour entendre des nouvelles assurées de tout ce qui se passoit dans la Syrie, qui en est voisine. D’ailleurs, ce qui ne peut recevoir d’excuse, c’est que, comme il y avoit déjà quelque temps qu’il étoit de retour avec les princes, il n’y a pas d’apparence qu’il ait attendu ce grand jour de cérémonie pour s’informer de sa sœur comment se sont passés tous ces troubles, qu’il dit ne savoir que confusément. Pollux, dans Médée, n’est qu’un personnage protatique qui écoute sans intérêt comme lui[4] ; mais sa surprise de voir Jason à Corinthe, où il vient d’arriver[5], et son séjour en Asie, que la mer en sépare, lui donnent juste sujet d’ignorer ce qu’il en apprend. La narration ne laisse pas de demeurer froide

  1. On appelle proprement protatique un personnage qui ne paroît qu’à la protase, c’est-à-dire dans les scènes d’exposition.
  2. Voyez le Discours du poème dramatique, tome I, p. 46.
  3. Voyez la dernière scène de la pièce.
  4. Voyez la première scène de Médée.
  5. Var. (édit. de 1660 et de 1663) : de Corinthe, où il ne fait qu’arriver.