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En effet, Monsieur, vous ne loueriez pas beaucoup un homme pour avoir réduit un poëme dramatique dans l’unité de jour et de lieu, parce que les lois du théâtre le lui prescrivent, et que sans cela son ouvrage ne seroit qu’un monstre. Pour moi, j’estime extrêmement ceux qui mêlent l’utile au délectable, et d’autant plus qu’ils n’y sont pas obligés par les règles de la poésie[1] ; je suis bien aise de dire d’eux avec notre docteur[2] :


Omne tulit punctum, qui miscuit utile dulci ;


mais je dénie qu’ils faillent contre ces règles, lorsqu’ils ne l’y mêlent pas, et les blâme seulement de ne s’être pas proposé un objet assez digne d’eux, ou si vous me permettez de parler un peu chrétiennement, de n’avoir pas eu assez de charité pour prendre l’occasion de donner en passant quelque instruction à ceux qui les écoutent ou qui les lisent. Pourvu qu’ils ayent[3] trouvé le moyen de plaire, ils sont quittes envers leur art ; et s’ils pèchent, ce n’est pas contre lui, c’est contre les bonnes mœurs et contre leur auditoire. Pour vous faire voir le sentiment d’Horace là-dessus, je n’ai qu’à répéter ce que j’en ai déjà pris : puisqu’il ne tient pas qu’on soit digne de louange quand on n’a fait que s’acquitter de ce qu’on doit, et qu’il en donne tant à celui qui joint l’utile à l’agréable, il est aisé de conclure qu’il tient que celui-là fait plus qu’il n’étoit obligé de faire. Quant à Aristote, je ne crois pas que ceux du parti contraire ayent d’assez bons yeux pour trouver le mot d’utilité dans tout son Art poétique : quand il recherche la cause de la poésie, il ne l’attribue qu’au plaisir que les hommes reçoivent

  1. Var. (édit. de 1648-1656) : par les règles de poésie.
  2. Horace, Art poétique, vers 343.
  3. Var. (édit. de 1648-1656) : Mais pourvu qu’ils ayent.