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teaux sur la Seine sont les six cabinets de feuillage dressés sur le soto du Manzanarès, dans les bosquets du sotillo. Dorante, malgré son extravagance, a peut-être plus de goût, Garcia plus de faste, surtout dans l’étalage du banquet avec ses quatre dressoirs, ses vaisselles d’or, et jusqu’à un certain joyau figurant un homme tout percé de flèches d’Amour : ce sont les cure-dents d’or, seuls dignes d’être offerts aux dents de perle, etc. Les deux feux d’artifice se ressemblent assez ; mais l’un est tiré à l’arrivée de la dame, l’autre après le repas. De part et d’autre, nous entendons quatre chœurs de musique distincts, les clarinettes, les instruments à archet, les flûtes, enfin les voix accompagnées de harpes et de guitares. On a, du côté espagnol, des glaces, des sorbets, des parfums et des essences ; mais les cinq dames invitées et la danse jusqu’au jour n’appartiennent qu’au programme français. Le soleil jaloux vient mettre un terme à tant de délices, et rien n’égale la grâce du tour de Corneille[1] dans ce final exquis inspiré par ces vers :

Tanto que envidioso Apolo
apresuró su carrera,
porque el principio del dia
pusiese fin á la fiesta.

Les traits de surcharge sont dus, en espagnol, à la facilité des métaphores emphatiques qui abondent dans cette poésie : ils sont plus étudiés dans le français. Cette prétérition plaisante du narrateur, qui veut être sobre, appartient à Dorante :

« Je ne vous dirai point les différents apprêts,
« Le nom de chaque plat, le rang de chaque mets[2]… »

VII.

Le même genre de supériorité se maintient chez Corneille dans la scène suivante, où Cliton demande compte à son maître de tant de menteries. Une partie des réponses de ce dernier est nécessairement inventée dans le français, entre autres l’apologie du rôle militaire qu’il s’est donné. Rien de piquant comme l’ironique compliment à charmer une dame :

« Un cœur« … J’apporte à vos beautés
« Un cœur nouveau venu des universités[3]… »

On croit lire du Regnard et du meilleur. C’est du reste une analogie

  1. Voyez acte I, scène v, vers 291 et suivants.
  2. Ibidem, vers 279 et 280.
  3. Acte I, scène vi, vers 323 et 324.