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même à en supposer d’imaginaires. « On lui proposa, pour se raccommoder avec tout le sexe, de faire la fête du Menteur, et que celles qui s’y trouveroient seroient obligées de le recevoir chez elles ; car les dames lui avoient fermé la porte[1]. » Tallemant ajoute en marge à l’occasion des mots, la fête du Menteur : « cette fête décrite dans la comédie. » Il faut avouer que, malgré la note, ce passage reste encore un peu obscur. Le savant éditeur de Tallemant, M. Paulin Paris, l’explique ainsi : « Cela veut dire, ce me semble, qu’on lui proposa, pour réparer ses anciens mensonges, de lire publiquement le récit de la fameuse fête que le Menteur prétend avoir donnée. Ainsi aurait-il eu l’air d’avouer que ses vanteries précédentes n’étaient que rêveries, et les dames, satisfaites de la réparation, auraient cessé de lui fermer leur porte. » Nous ne pensons pas qu’une simple pénitence de ce genre eût suffi à calmer l’indignation des dames. Elles avaient sans doute exigé une fête semblable à celle du Menteur, bien que moins splendide peut-être, parce que le titre même donné à cette collation aurait été de la part du coupable un aveu tacite de ses torts, en même temps que la magnificence du divertissement en eût été une expiation éclatante.

Les allusions de ce genre continuèrent longtemps après la mort de Corneille. « Beaucoup de vers du Menteur avaient passé en proverbe, dit Voltaire[2] ; et même près de cent ans après, un homme de la cour, contant à table des anecdotes très-fausses, comme il n’arrive que trop souvent, un des convives se tournant vers le laquais de cet homme, lui dit : « Cliton, donnez à boire à votre maître. »

L’illustre commentateur de Corneille, si souvent injuste envers son auteur, reconnaît hautement le mérite de cette pièce : « Ce n’est qu’une traduction, dit-il[3] ; mais c’est probablement à cette traduction que nous devons Molière. Il est impossible en effet que l’inimitable Molière ait vu cette pièce, sans voir tout d’un coup la prodigieuse supériorité que ce genre a sur tous les autres, et sans s’y livrer entièrement. »

  1. Tome V, p. 370.
  2. Note sur le vers 295 de la Suite du Menteur (acte I, scène iii).
  3. Préface du Menteur, édition de 1764.