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sous forme d’appendice, à la suite de la pièce. Nous n’avons donc pas à insister, ni ici ni dans les notes, sur la manière dont Corneille imite son modèle ; nous nous contenterons de donner un seul exemple des procédés qu’il emploie pour accommoder aux usages, aux mœurs, et au langage de son temps le sujet qu’il a emprunté à l’Espagne.

Lorsque Dorante nous dit :

On s’introduit bien mieux à titre de vaillant[1],

c’est un souvenir d’Alarcon ; Corneille nous l’apprend lui-même dans son avis Au lecteur[2] : « Tout ce que je fais conter à notre Menteur des guerres d’Allemagne, où il se vante d’avoir été, l’Espagnol le lui fait dire du Pérou et des Indes, dont il fait le nouveau revenu. » Mais ce changement donne à l’imitation un tour original, et en fait ainsi la peinture fidèle de ce que Corneille voyait et entendait chaque jour. Le chevalier de Charny, un des personnages qui figurent dans la galerie des Divers portraits de Mlle de Montpensier[3], nous avoue en ces termes qu’il lui paraît indispensable d’avoir pris part à quelque expédition lointaine avant d’oser se présenter devant les dames : « Il me semble que devant que de me hasarder à la galanterie, je dois m’être fort hasardé à la guerre, et qu’il faut avoir fait plusieurs campagnes à l’armée, premier que de faire un quartier d’hiver à la Cour. » Ici nous sommes en présence d’un loyal gentilhomme, tout disposé à passer par les épreuves nécessaires, et à mériter par sa vaillance une attention dont il sera vraiment digne ; mais le Dorante de Corneille n’est pas le premier qui s’en soit tiré à meilleur marché. Voici ce que nous lisons dans le Pasquil de la Court pour apprendre à discourir et à s’habiller à la mode, écrit qui date de 1622 :

Avoir son galant,
Qui contrefasse le vaillant,
Encor que jamais son épée
N’ait été dans le sang trempée,
Et qu’il n’ait jamais vu Saint-Jean,
La Rochelle, ni Montauban ;
S’il en discourt, sont ses oreilles

  1. Acte I, scène vi, vers 332.
  2. Voyez ci-après, p. 132.
  3. Édition de 1659, in-4o, p. 320.