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N’admet point de foiblesse avec sa fermeté ;
Et c’est mal de l’honneur entrer dans la carrière
Que dès le premier pas regarder en arrière.
Notre malheur est grand ; il est au plus haut point ;
Je l’envisage entier, mais je n’en frémis point :
Contre qui que ce soit que mon pays m’emploie,
J’accepte aveuglément cette gloire avec joie ;
Celle de recevoir de tels commandements
Doit étouffer en nous tous autres sentiments.
Qui, près de le servir, considère autre chose,
À faire ce qu’il doit lâchement se dispose ;
Ce droit saint et sacré rompt tout autre lien.
Rome a choisi mon bras, je n’examine rien :
Avec une allégresse aussi pleine et sincère
Que j’épousai la sœur, je combattrai le frère ;

Et pour trancher enfin ces discours superflus,
Albe vous a nommé, je ne vous connois plus.

CURIACE.

Je vous connois encore[1], et c’est ce qui me tue ;
Mais cette âpre vertu ne m’étoit pas connue ;
Comme notre malheur elle est au plus haut point :
Souffrez que je l’admire et ne l’imite point.

HORACE.

Non, non, n’embrassez pas de vertu par contrainte ;
Et puisque vous trouvez plus de charme à la plainte,
En toute liberté goûtez un bien si doux ;
Voici venir ma sœur pour se plaindre avec vous.
Je vais revoir la vôtre, et résoudre son âme
À se bien souvenir qu’elle est toujours ma femme[2],
À vous aimer encor, si je meurs par vos mains,
Et prendre en son malheur des sentiments romains.

  1. « À ces mots : « Je ne vous connois plus. — Je vous connois encore, » on se récria d’admiration… » (Voltaire.)
  2. Var. À se ressouvenir qu’elle est toujours ma femme. (1641-60)