Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il triomphe de moi comme des ennemis.
Dans leur sang répandu la justice étouffée[1]
Aux crimes du vainqueur sert d’un nouveau trophée :
Nous en croissons la pompe, et le mépris des lois
Nous fait suivre son char au milieu de deux rois.

Don Fernand

Ma fille, ces transports ont trop de violence.
Quand on rend la justice, on met tout en balance :
On a tué ton père, il étoit l’agresseur ;
Et la même équité m’ordonne la douceur.
Avant que d’accuser ce que j’en fais paroître,
Consulte bien ton cœur : Rodrigue en est le maître,
Et ta flamme en secret rend grâces à ton roi,
Dont la faveur conserve un tel amant pour toi.

Chimène.

Pour moi ! mon ennemi ! l’objet de ma colère !
L’auteur de mes malheurs ! l’assassin de mon père !
De ma juste poursuite on fait si peu de cas
Qu’on me croit obliger en ne m’écoutant pas !
QuPuisque vous refusez la justice à mes larmes,
Sire, permettez-moi de recourir aux armes ;
C’est par là seulement qu’il a su m’outrager,
Et c’est aussi par là que je me dois venger.
À tous vos cavaliers je demande sa tête[2] :
Oui, qu’un d’eux me l’apporte, et je suis sa conquête ;
Qu’ils le combattent, Sire ; et le combat fini,
J’épouse le vainqueur, si Rodrigue est puni.
Sous votre autorité souffrez qu’on le publie.

Don Fernand.

Cette vieille coutume en ces lieux établie,
Sous couleur de punir un injuste attentat,

  1. Var. Dans leur sang épandu la justice étouffée. (1637, 39 et 48-56)
  2. Var. À tous vos chevaliers je demande sa tête. (1637 in-4o, 38 P., 39 et 44)