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Ah ! ce bonheur si doux que j’ai pu méconnaître
Le ciel à tout jamais m’en a privé peut-être !
O sagesse tardive ! ô regrets superflus !
Edwige me croit mort !… Elle ne m’aime plus !
Et ces deux autres cœurs, dont j’étais l’espérance,
Ont-il cessé de battre, éteints par la souffrance ?
Ah ! s’il en est ainsi,
Je n’ai plus de patrie !
Et la fin de ma vie
Doit s’écouler ici !
O ma chaumière,
Toit solitaire,
C’est là qu’il faut vivre et mourir.
Terre isolée,
Reste peuplée
Des ombres de mon souvenir !

Il se met à l’ouvrage, puis il pose sa cognée sur le tronc d’arbre et s’appuyant dessus.

Comme ils riraient de M. Robinson, ceux qui l’ont connu jadis, si pimpant et toujours à la dernière mode ! C’était moi qui riais d’eux, alors, quand ils me parlaient raison et travail. Le travail… ah ! ah !… nous n’étions guère amis, lui et moi ; Je ne me doutais pas de quels bienfaits je lui serais un jour redevable ! Cette retraite si douce et si agréable, l’enclos qui la protége, les récoltes qui me nourrissent et jusqu’aux vêtements qui me couvrent, c’est le travail qui m’a tout donné ! sans lui je serais mort de misère à côté de ces trésors que j’arrachai naguère aux débris de mon navire… de ces richesses qui sont là et sur lesquelles je marche aujourd’hui ! en riant de ceux qui se donnent tant de peine pour les acquérir ! Résigné, maintenant, les jours me semblent moins longs, moins tristes ! (Il s’arrête devant un poteau placé près de l’enclos.) Chaque cran de ce poteau m’aide à les compter. Déjà six ans d’exil !… cinq de solitude absolue. Non !… un ami m’était resté… le chien du bord, sauvé comme moi, par miracle, pendant cette nuit terrible qui nous jeta tous deux dans un désert ! Depuis lors, mon pauvre Fidèle, toi seul avais salué le réveil du proscrit. (À ce moment un perroquet se met à crier : Bonjour, Robinson !) Ah ! tu réclames, toi ! et tu as raison, je suis un ingrat. C’est toi qui as rendu à mon oreille le son de cette voix humaine que je croyais ne plus entendre ! Puis, un jour est venu où je vous ai un peu négligés, mes bons