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ressé à la prospérité de tous, et que la prospérité d’un genre d’industrie est favorable à la prospérité de tous les autres. En effet, quels que soient l’industrie qu’on cultive, le talent qu’on exerce, on en trouve d’autant mieux l’emploi, et l’on en tire un profit d’autant meilleur, qu’on est plus entouré de gens qui gagnent eux-mêmes. Un homme à talent, que vous voyez tristement végéter dans un pays qui décline, trouverait mille emplois de ses facultés dans un pays productif, où l’on pourrait employer et payer sa capacité. Un marchand, placé dans une ville industrieuse, vend pour des sommes bien plus considérables que celui qui habite un canton où dominent l’insouciance et la paresse. Que ferait un actif manufacturier ou un habile négociant dans une ville mal peuplée et mal civilisée de certaines portions de l’Espagne ou de la Pologne ? Quoiqu’il n’y rencontrât aucun concurrent, il y vendrait peu, parce qu’on y produit peu ; tandis qu’à Paris, à Amsterdam, à Londres, malgré la concurrence de cent marchands comme lui, il pourra faire d’immenses affaires. La raison en est simple : il est entouré de gens qui produisent beaucoup dans une multitude de genres, et qui font des achats avec ce qu’ils ont produit ; c’est-à-dire avec l’argent provenant de la vente de ce qu’ils ont produit, ou avec ce que leurs terres ou leurs capitaux ont produit pour eux.

« Telle est la source des profits que les gens des villes font sur les gens des campagnes, et que ceux-ci font sur les premiers. Les uns et les autres ont d’autant plus de quoi acheter, qu’ils produisent davantage. Une ville entourée de campagnes productives y trouve de nombreux et riches acheteurs ; et dans le voisinage d’une ville manufacturière, les produits de la campagne se vendent bien mieux. C’est par une distinction futile qu’on classe les nations en nations agricoles, manufacturières et commerçantes. Si une nation réussit dans l’agriculture, c’est une raison pour que son commerce et ses manufactures prospèrent. Si ses manufactures et son commerce deviennent florissants, son agriculture s’en trouvera mieux.

« Une nation voisine est dans le même cas qu’une province par rapport aux campagnes : elle est intéressée à les voir prospérer ; elle est assurée de profiter de leur opulence ; car on ne gagne rien avec un peuple qui n’a pas de quoi payer. Aussi les pays bien avisés favorisent-ils de tout leur pouvoir les progrès de leurs voisins. Les républiques de l’Amérique septentrionale ont pour voisins des peuples sauvages qui vivent en général de leur chasse, et vendent des fourrures aux négociants des États-Unis ; mais ce commerce est peu important, car il faut à ces sauvages une vaste étendue de pays pour y trouver un nombre assez borné d’animaux sauvages ; et ces animaux diminuent tous les jours. Aussi les États-Unis préfèrent-ils de beaucoup que ces Indiens se civilisent, deviennent cultivateurs, manufacturiers, plus habiles producteurs enfin ; ce qui arrive malheureusement très difficilement, parce que des hommes élevés dans les habitudes du vagabondage et de l’oisiveté ont beaucoup de peine à se mettre au travail. Cependant on a des exemples d’Indiens devenus laborieux. Je lis dans la Description des États-Unis que M. Warden a publiée il y a quelques années, que des peuplades habitantes des bords du Mississipi, et qui n’offraient aucuns débouchés aux citoyens des États-Unis, sont parvenues à leur acheter, en 1810, pour plus de 80, 000 francs de marchandises ; et probablement elles en achètent maintenant pour des sommes bien plus fortes. D’où est venu ce changement ? De ce que ces Indiens se sont mis à cultiver des fèves et du mais, et à exploiter des mines de plomb qui se sont trouvées dans leur territoire.

« Les Anglais se flattent avec raison que les nouvelles républiques d’Amérique, après que leur émancipation aura favorisé leur développement, leur offriront des consommateurs plus nombreux et plus riches, et déjà ils recueillent le fruit d’une politique plus conforme aux lumières du siècle. Mais ce n’est encore rien auprès des avantages qu’ils en recueilleront plus tard. Les esprits bornés supposent des motifs cachés à cette politique éclairée. Eh ! quel plus grand objet pourrait-on se proposer que de rendre son pays riche et puissant ?

« Un peuple qui prospère doit donc être regardé plutôt comme un ami utile que comme un concurrent dangereux. Il faut sans doute savoir se garantir de la folle ambition ou de la colère d’un voisin qui peut entendre assez mal ses intérêts pour se brouiller avec vous ; mais après qu’on s’est mis en mesure de ne pas redouter une injuste agression, il ne convient d’affaiblir personne. On a vu des négociants de Londres ou de Marseille redouter l’affranchissement des Grecs et la concurrence de leur commerce. C’est avoir des idées bien étroites et bien fausses ! Quel commerce peuvent faire les Grecs indépendants qui ne soit favorable à notre industrie ? Peuvent-ils apporter des produits sans en acheter et sans en emporter pour une valeur équivalente ? Et si c’est de l’argent qu’ils veulent, comment pouvons-nous l’acquérir autrement que par des produits de notre industrie ? De toutes manières, un peuple qui prospère est favorable à notre prospérité. Les Grecs, en effet, pourraient-ils faire une affaire avec nos négociants contre le gré de ceux-ci ? Et nos négociants consentiraient-ils à des affaires qui ne seraient pas lucratives pour eux-mêmes, et, par conséquent, pour leur pays ?

« Si les Grecs s’affermissent dans leur indépendance et s’enrichissent par leur agriculture, leurs arts et leur commerce, ils deviendront, pour les autres peuples de l’Europe, des consommateurs précieux ; ils auront de nouveaux besoins et de quoi les payer. Il n’est pas nécessaire d’être philanthrope pour les aider ; il ne faut qu’être en état de comprendre ses vrais intérêts.

« Ces vérités si importantes, qui commencent à percer dans les classes éclairées de la société, y étaient absolument méconnues dans les temps qui nous ont précédés. Voltaire fait consister le patriotisme a souhaiter du mal à ses voisins. Son humanité, sa générosité naturelle en gémissent. Que nous sommes plus heureux, nous, qui par les simples progrès des lumières, avons acquis la certitude qu’il n’y a d’ennemis que l’ignorance et la perversité ; que toutes les nations sont, par nature