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— Eût-elle la force de vingt hommes, je désespérerais encore de pouvoir lancer la chaloupe sans l’aide d’aucune machine. Mais nous perdons le temps en paroles. Je vais descendre pour juger du temps probable que durera notre incertitude, et alors nous nous occuperons des apprêts du départ. Pour cela vous pourrez m’aider, toutes faibles et toutes délicates que vous êtes.

Il leur montra alors les objets légers qui pouvaient leur devenir nécessaires s’ils étaient assez heureux pour se sauver du naufrage, et il leur conseilla de les porter sans délai dans la chaloupe. Tandis que les trois femmes étaient ainsi occupés, il descendit à fond de cale, pour observer les progrès de l’eau et calculer le temps qui s’écoulerait avant que le navire s’abîmât tout entier.

Il reconnut que leur situation était encore plus alarmante qu’il n’avait été porté à le craindre. Privé de ses mâts, le vaisseau avait manœuvré si pesamment, qu’il avait ouvert à l’eau plusieurs de ses jointures, et comme les œuvres vives commençaient à s’enfoncer au-dessous du niveau de l’océan, la crue de l’eau augmentait avec une incroyable rapidité. Le jeune marin, en jetant autour de lui un regard exercé, maudit dans toute l’amertume de son cœur l’ignorance et la superstition qui l’avaient fait abandonner du reste de l’équipage. Il n’y avait en effet aucun mal auquel de vigoureux efforts, habilement dirigés, n’eussent pu remédier. Mais privé de tout aide, il ne sentit que trop la folie d’essayer même de différer une catastrophe qui était maintenant inévitable. Il remonta, le cœur serré, sur le tillac, et s’occupa tout de suite des dispositions qui étaient nécessaires pour assurer à ses compagnes la plus légère chance de salut.

Tandis que celles-ci oubliaient un instant leurs terreurs pour se livrer à une occupation légère, mais également utile, Wilder disposa de deux mâts de la chaloupe, et arrangea convenablement les voiles, ainsi que les autres agrès qui pouvaient être nécessaires en cas de réussite.

Au milieu de ces apprêts, une couple d’heures s’écoulèrent, aussi promptement que si les minutes n’avaient été que des secondes. Au bout de ce terme, il avait achevé son travail. Il coupa les cordages qui servaient à affermir la chaloupe lorsque le vaisseau était en mouvement, la laissant à la même place, mais de manière à ce qu’elle ne fût plus attachée d’aucun côté à la carcasse du bâtiment, qui en ce moment s’était affaissée à un tel