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— Vous voulez parler de dormeurs ? dit Mrs Wyllys.

— Je parle de ceux qui vont être de quart. Rien n’est plus doux pour le marin que le sommeil, car c’est la plus précaire de toutes ses jouissances. D’une autre part, c’est peut-être le compagnon le plus perfide que puisse avoir le commandant d’un vaisseau.

— Et pourquoi le repos d’un capitaine est-il moins agréable que celui du matelot ?

— Parce qu’il a pour oreiller la responsabilité.

— Vous êtes bien jeune, monsieur Wilder, pour remplir les fonctions dont vous êtes chargé ?

— C’est un service qui nous vaut à tous une vieillesse prématurée.

— Et pourquoi donc ne le quittez-vous pas ? dit Gertrude avec quelque vivacité.

— Le quitter, répéta-t-il en s’interrompant un instant tandis qu’il la regardait avec des yeux pleins d’ardeur, ce serait pour moi comme si je renonçais à l’air que nous respirons.

— Y a-t-il donc si long-temps que vous y êtes entré ? demanda Mrs Wyllys détournant ses yeux pensifs, qui étaient attachés sur la physionomie ingénue de son élève, pour les porter de nouveau sur les traits de celui à qui elle parlait.

— J’ai lieu de croire que je suis né sur la mer.

— De croire ? Vous connaissez sûrement le lieu de votre naissance ?

— Tous, tant que nous sommes, dit Wilder en souriant, nous n’avons que le témoignage des autres pour nous rendre compte de cet événement important. Mes premiers souvenirs se rattachent à la vue de l’océan, et je puis à peine dire que je suis une créature appartenant à la terre.

— Vous avez du moins été heureux dans le choix de ceux qui ont été chargés de veiller sur votre enfance et sur votre éducation ?

— Oui sans doute, répondit-il avec force. S’étant alors couvert un instant le visage des deux mains, il ajouta avec un sourire mélancolique : — Et maintenant il faut aller m’acquitter de mon dernier devoir de la journée. Voulez-vous venir voir si la nuit promet de nous être favorable ? Une dame qui a tant de goût et de dispositions pour la marine ne doit pas se mettre au lit sans avoir donné son opinion sur le temps.

La gouvernante accepta le bras qu’il lui offrait, et ils montè-