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Le marin qui était au gouvernail obéit à cet ordre. Ayant lâché les rais de la roue, elle fit une prompte évolution, et le navire, sentant une nouvelle impulsion du vent, tourna lentement sa proue du côté d’où il soufflait, ses voiles s’agitant avec un bruit semblable à celui que produit une troupe d’oiseaux aquatiques, quand ils prennent leur essor. Mais la force du gouvernail se faisant de nouveau sentir, il fit bientôt son abatée comme auparavant, dérivant par le travers sur le prétendu négrier, poussé par le vent, qui semblait néanmoins avoir perdu une grande partie de sa force, à l’instant critique où elle aurait été le plus nécessaire.

Un marin comprendra aisément la situation dans laquelle se trouvait la Caroline. Elle avait tellement poussé en avant, qu’elle se trouvait précisément droit par le travers du négrier, du côté du vent, mais trop près de ce navire pour pouvoir abattre le moins du monde, sans un danger imminent de mettre les deux navires en contact. Le vent était inconstant ; tantôt il soufflait par bouffées, tantôt on éprouvait un calme parfait. Lorsque le bâtiment sentait l’influence de la brise, ses grands mâts se courbaient avec grâce vers le négrier, comme pour faire le salut d’adieu ; mais quand ses voiles n’éprouvaient plus la pression momentanée du vent, il roulait pesamment sans avancer d’un seul pied. L’effet de chaque changement était pourtant de le rapprocher encore davantage de son dangereux voisin, et il devint bientôt évident, même au plus jeune marin qui se trouvât à bord, qu’un changement soudain de vent pouvait seul le mettre en état de passer en avant, d’autant plus que la marée allait changer.

Comme les officiers subalternes de la Caroline n’étaient pas très délicats sur le choix de leurs expressions, dans leurs commentaires sur la maladresse qui les avait conduits dans une position si désagréable et si mortifiante, le pilote cherchait à cacher son dépit par la multiplicité des ordres qu’il donnait en même temps et par le bruit qu’il faisait en les donnant. Du fracas, il passa bientôt à la confusion, et enfin les hommes de l’équipage restèrent les bras croisés, ne sachant auquel des ordres, souvent contradictoires, qu’ils recevaient à la fois, ils devaient commencer par obéir. De son côté, Wilder avait aussi croisé les siens avec un air de tranquillité parfaite, et s’était placé près des deux dames qui étaient sur son bord. Mrs Wyllys étudiait tous ses regards, dans l’espoir de pouvoir juger, d’après leur expression, de la na-