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— Ma maîtresse ! répéta le valet tout interdit ; mais, miss Agnès, la femme de chambre dit qu’elle n’a pas la connaissance, et qu’elle ne sait ni ce qui se passe, ni ce qu’on lui dit. C’est une bien triste noce, Madame, pour l’héritier de notre maison.

— Eh bien donc ! dites-lui, reprit Agnès en se levant pour quitter la chambre, que miss Danforth serait bien aise de le voir.

Meriton ne resta que le temps nécessaire pour témoigner qu’il approuvait ce changement dans le message, et il partit alors avec un empressement que redoublaient encore les craintes qu’il commençait à concevoir pour la sûreté de son maître. Malgré son inquiétude, le valet n’était nullement insensible à la rigueur du climat dans lequel il se trouvait, ni aux désagréments particuliers de la nuit pendant laquelle il était obligé de s’y exposer si inopinément. Néanmoins, malgré la neige qui tombait par flocons, et en dépit du froid qui le glaçait jusqu’aux os, il fut bientôt arrivé au logis de Polwarth. Heureusement pour la patience du pauvre Meriton, Shearflint, le laquais du capitaine, n’était pas encore couché ; il venait seulement de quitter son maître, qui avait jugé prudent, avant de se mettre au lit, de se lester de quelques provisions.

La porte s’ouvrit au premier coup de Meriton, et lorsque l’autre eut exprimé sa surprise par les exclamations ordinaires, les deux valets se rendirent ensemble dans une pièce où les restes d’un bon feu de bois répandaient encore une douce chaleur.

— Quel affreux pays que cette Amérique pour le froid, monsieur Shearflint ! dit Meriton en rapprochant les tisons avec sa botte et en se frottant les mains au-dessus de la braise. Je ne trouve pas que notre froid anglais ressemble du tout à cela ; le nôtre a plus de force, plus d’énergie ; mais il ne nous coupe pas la figure comme un méchant rasoir, ainsi que ce vilain froid d’Amérique.

Shearflint, qui se croyait extrêmement libéral, et qui se faisait un point d’honneur de montrer de la magnanimité à l’égard de ses ennemis, ne parlait jamais des colons sans prendre un air de protection qui prouvait selon lui qu’il avait des sentiments, et il répondit avec assurance :

— C’est un pays neuf, monsieur Meriton, et il ne faut pas y regarder de trop près. Lorsqu’on voyage, il faut apprendre à se