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l’équipage le même effet qu’une voix qui serait sortie du sein des mers. On n’attendit pas les signaux ordinaires du contre-maître et du tambour, et les canonniers eux-mêmes quittèrent leur poste pour aider à la manœuvre. Il y eut une minute ou deux de confusion qu’un œil inexpérimenté aurait regardée comme du plus mauvais présage pour la frégate ; et pendant ce court intervalle on vit se déployer sur la hauteur des mâts ces voiles légères qui s’élevaient bien au-dessus des voiles ordinaires, et dont l’ombre se projetait sur la mer des deux côtés du bâtiment.

Pendant le moment d’inaction qui suivit cette manœuvre soudaine, la brise qui avait amené le vaisseau à trois ponts se fit sentir avec plus de force aux voiles de la frégate ; elle marcha avec plus de rapidité, et parut évidemment gagner du terrain sur son dangereux ennemi.

— Le brouillard se lève, s’écria Griffith ; que le vent nous favorise seulement pendant une heure, et nous serons hors de portée.

— Ces vaisseaux de quatre-vingt-dix pièces de canon ont la portée longue, dit le capitaine Munson assez bas pour n’être entendu que du pilote et du premier lieutenant, et nous aurons quelques amorces à brûler.

Le pilote surveillait tous les mouvements de l’ennemi, et il s’écria :

— Il voit déjà que nous lui montrons les talons, et il fait ses préparatifs. Nous serons bien heureux si nous échappons à une bordée. Embardez un peu la frégate, monsieur Griffith ; touchez légèrement le gouvernail ; si nous sommes enfilés de long, nous sommes perdus.

Le capitaine sauta sur le couronnement de la poupe avec l’activité d’un jeune homme, et vit en un instant que les conjectures du pilote étaient fondées.

Pendant quelques minutes, les deux vaisseaux ne parurent occupés qu’à surveiller respectivement les mouvements l’un de l’autre, le navire anglais faisant de temps en temps de légères déviations de la ligne qu’il suivait ; et quand il voyait que l’ennemi devinait ses intentions, il prenait une direction opposée. Enfin une manœuvre soudaine et décisive annonça clairement aux Américains par quelle bordée ils devaient s’attendre à être attaqués.

Comme si ce moment de crise eût été trop pressant pour per-