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gaillard d’arrière, tandis que le schooner paraissait près d’être englouti entre deux vagues ; ce pauvre Ariel tremble dans l’eau comme un enfant effrayé.

Tom ne lui répondit d’abord que par un profond soupir et en secouant la tête.

— Si nous avions conservé notre grand mât une heure de plus, dit-il enfin, nous aurions pu gagner le large, prendre le vent et nous écarter des écueils ; mais dans la situation où nous sommes, Monsieur, toute la science des mortels ne saurait faire marcher un navire contre le vent. Nous dérivons à la côte, et dans moins d’une heure nous serons au milieu des brisants, à moins que la volonté de Dieu ne soit de mettre fin à l’ouragan.

— Je ne vois de ressource que de jeter l’ancre, dit le lieutenant ; c’est le dernier moyen de salut qui nous reste.

Tom se tourna vers son commandant, et lui répondit d’un air solennel, et avec cette assurance que l’expérience seule peut donner dans un moment de péril imminent :

— Quand notre plus gros câble serait attaché à la plus pesante de nos ancres, nous n’en chasserions pas moins, quand même il n’aurait à retenir que les planches et le fer dont l’Ariel est composé. Comment résister à un vent du nord et de l’Océan germanique dans l’état où nous sommes ? et l’ouragan conservera toute sa force jusqu’à ce que le soleil darde ses rayons sur la terre ; alors il est possible qu’il diminue de violence, car les vents semblent quelquefois respecter la gloire du firmament, et n’osent se livrer à toute leur fureur en face du soleil.

— Il faut que nous remplissions nos devoirs envers notre patrie et envers nous-mêmes, répondit Barnstable. Allez, faites épisser les deux ancres de poste, et étalinguez un câble à celle de touée ; nous jetterons les deux ancres en même temps, nous filerons deux cent quarante brasses s’il le faut, et il est possible que cela sauve le schooner. Préparez tout pour cette manœuvre, et faites abattre tous les mâts ; le vent n’aura plus de prise que sur le corps du navire.

— S’il n’y avait que le veut à craindre, dit Coffin, nous pourrions encore espérer de voir le soleil se coucher derrière ces montagnes ; mais où est le chanvre capable de résister au tirage d’un vaisseau qui est la moitié du temps enfoncé dans l’eau de toute la hauteur du grand mât ?