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s’enfonçant successivement au milieu des vagues, comme si les rameurs se fussent reposés sur leurs avirons, sans vouloir s’approcher du rivage ni s’en éloigner.

— Ce sont eux ! continua Dillon ; ou, ce qui est encore plus probable, c’est leur barque qui les attend pour les reconduire à leur vaisseau. Il faut un motif plus qu’ordinaire pour engager des mariniers à rester stationnaires à si peu de distance des brisants de la côte.

— Et que pouvons-nous faire ? demanda le cornette. Ils sont à l’abri de la poursuite de mes cavaliers et hors de la portée du mousquet. Un petit canon de trois livres de balle ferait parfaitement leur affaire.

L’extrême désir qu’avait Dillon d’arrêter ou plutôt de faire périr les prisonniers échappés le rendait prompt à trouver des expédients. Il n’eut besoin que d’un moment de réflexion pour répondre.

— Nos fugitifs doivent encore être à terre ; et en surveillant la côte, en plaçant des postes aux endroits convenables, il est facile de leur couper la retraite. Pendant ce temps, je vais courir à toute bride vers la baie dans laquelle se trouve un cutter de Sa Majesté. Il ne me faut qu’une demi-heure pour y arriver. Si le capitaine veut seulement doubler ce promontoire, nous ferons prisonniers ou nous coulerons à fond ces déprédateurs nocturnes.

— Partez donc ! s’écria Fitzgerald, dont l’attente d’une escarmouche faisait bouillir le sang ; vous les forcerez du moins à débarquer, et alors je pourrai avoir affaire à eux.

À peine avait-il prononcé ces mots, que Dillon partit au grand galop, et, en moins d’une minute, il disparut dans un petit bois sur la route. L’opinion royaliste était chez lui le résultat du calcul, et elle se trouvait intimement liée avec ce qu’il regardait comme la fidélité qu’il se devait à lui-même. Il pensait que la main et la fortune de miss Howard étaient un avantage de beaucoup supérieur pour lui à tous ceux qu’il aurait pu se promettre de la révolution survenue dans son pays natal. Il regardait Griffith comme le seul obstacle qui pût s’opposer à la réussite de ses projets, et il pressa son cheval avec l’ardeur d’un homme déterminé à perdre son rival avant le coucher du soleil. Quand on travaille pour une mauvaise cause, dans de tels sentiments et avec des motifs si puissants, il est rare qu’on n’ait pas une double vitesse ;