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systèmes féodaux ? et qu’y a-t-il de commun entre les propriétaires de New-York et les nobles de l’Europe, entre leurs baux et leurs redevances féodales ?

— Qu’y a-t-il de commun ? Mais beaucoup trop, Monsieur, je vous en donne ma parole. Nos gouverneurs eux-mêmes, pendant qu’ils invitent sans pitié les citoyens à se tuer l’un l’autre…

— Allons, allons, monsieur Newcome, interrompit en riant Mary Warren, nos gouverneurs invitent nos concitoyens à ne pas se tuer l’un l’autre.

— Je vous comprends, mademoiselle Mary ; mais nous ferons des anti-rentistes de vous deux avant qu’il se passe bien du temps.

— Certainement, Monsieur, qu’il y beaucoup trop de ressemblance entre les nobles de l’Europe et nos propriétaires, quand les honnêtes et libres tenanciers de ces derniers sont obligés de payer tribut pour avoir le droit de vivre sur des terres qu’ils cultivent et auxquelles ils font produire des richesses.

— Mais des hommes qui ne sont pas nobles donnent à bail leurs terres en Europe ; bien plus, les serfs, à mesure qu’ils deviennent libres et riches, achètent des terres et les louent, dans certaines parties du vieux monde.

— Tout cela est féodal, Monsieur. Serf ou non serf, le système entier est pernicieux et féodal.

— Mais, monsieur Newcome, dit Mary Warren avec calme, mais avec une légère teinte d’ironie, vous-même vous louez des terres, vous donnez à bail des terres qui ne sont pourtant pas à vous et que vous tenez de M. Littlepage.

Sénèque était évidemment déconcerté mais il était trop dans les voies du mouvement progressif pour céder aussi facilement. Faisant entendre une petite toux, plutôt pour s’éclaircir le cerveau que pour s’éclaircir le gosier, il trouva enfin une réponse et en fit l’émission avec un certain air de triomphe.

— Voilà précisément un des maux du système actuel, miss Mary. Si j’étais propriétaire de ces deux ou trois champs dont vous parlez, et que je n’eusse pas le loisir de les cultiver, je pourrais les vendre ; au lieu que maintenant c’est impossible, puisque je ne puis faire aucune cession de propriété. Le jour où mourra mon pauvre oncle, et il n’ira peut-être pas une semaine, tant il est usé, toute la propriété, les moulins, les tavernes, les fermes, les bois et tout, reviendront au jeune Hughes Littlepage, qui s’amuse en